“Van Gogh à Auvers-sur-Oise”. La dernière mi-temps de Van Gogh. (Jusqu’au 04 février 2024 Paris, musée d’Orsay. Texte original en français et version italienne).

par Philippe PREVAL

Le 17 mai 1890, Vincent Van Gogh revient à Paris, après un séjour d’un an à l’asile saint Paul à Saint-Rémy-de-Provence, où il s’est fait interner volontairement après plusieurs crises de démence à Arles mais qu’il a fini par considérer comme une prison. Trois jours plus tard il arrive à Auvers-sur-Oise, où habite un médecin spécialiste des maladies nerveuses[1], le Dr Paul Gachet dont son frère a fait la connaissance par l’intermédiaire de Camille Pissarro. Gachet est un peintre amateur, il aime l’impressionnisme, est en relation avec Cézanne, Pissarro, Guillaumin. Il pourra s’occuper de Vincent. Vincent prend une chambre à l’auberge Ravoux qui propose les prix moins chers. Il lui reste 70 jours à vivre.

Ce sont ces 10 semaines, d’une productivité intense puisqu’il réalisa plus d’une toile par jour, que se propose d’étudier méthodiquement l’exposition du musée d’Orsay « Van Gogh à Auvers ». Par certains aspects, cette exposition est un véritable journal de bord du peintre. Le visiteur suit pas à pas, la Passion de Vincent. Comme pour celle du Christ, cela commence par le soleil, par l’entrée joyeuse à Jérusalem, et s’assombrit inexorablement pour finir par un coup de revolver dans la poitrine.

Figure 1: Autoportrait, Musée d’Orsay, Paris

Vincent n’arrive pas les mains vides. Il montre à Gachet la Pietà [2] qu’il a faite d’après Delacroix [3], et surtout l’un de ses autoportraits[4] les plus marquants.

Ce tableau tout en tension, ce regard inquisiteur mais aussi inquiet, n’est pas sans rappeler l’autoportrait, de David, le David in vinculis, peint en détention par l’artiste révolutionnaire et robespierriste alors qu’il attendait l’issue de son procès. Gachet est séduit.

Il veut immédiatement que Vincent fasse son propre portrait.

Ce n’est pas tout à fait réciproque. Vincent écrit à son frère :

« J’ai vu monsieur le Dr Gachet, qui a fait sur moi l’impression d’être assez excentrique mais son expérience de docteur doit le tenir lui-même en équilibre en combattant le mal nerveux duquel il me semble certes attaqué au moins aussi gravement que moi… »

mais il est tout de même gagné par l’enthousiasme du médecin vis-à-vis de la peinture.

Le village lui plait. Ses toits de chaume qui lui rappellent son pays, son absence de toute usine ou de toute modernité font, qu’il s’y sent bien. L’exposition permet de comprendre parfaitement son environnement et son mode de vie. Il se lève tôt, travaille le matin en plein air, retouche ses toiles l’après-midi, dans la « salle des peintres » mise à disposition au rez-de-chaussée par Ravoux, et se couche tôt.  Cette vie d’ascète produit ses résultats. Il crée immédiatement des chefs-d’œuvre, peignant souvent les maisons pittoresques du village mais n’hésitant pas aussi, à s’aventurer sur des thèmes typiquement impressionnistes, comme les scènes de canotage.

Figure 2 Chaumes de Cordeville. Orsay. Fin mai-début Juin
Figure 3 Bords de l’Oise. Detroit Art Institute. Deuxième quinzaine de juin.

Le dimanche il déjeune chez le docteur Gachet.

Figure 4: Dans le jardin du docteur Gachet, Orsay. 27 mai.

A l’occasion d’un de ses passages dans le jardin du docteur il réalise un tableau éblouissant qui a des allures de jardin exotique.

Il peint deux portraits du docteur Gachet, où il semble totalement libéré de la contrainte de la représentation et de la ressemblance. Il rejoint là, la qualité de ses autoportraits. Avec Gachet, il réalise sa première et unique gravure, qui n’est autre qu’un portrait du médecin, dont l’exposition présente aussi le cuivre. C’est une période solaire. Sa correspondance avec son frère, souvent obérée par les soucis d’argent ou de santé, semble plus apaisée, et, chose inouïe, son frère vend un de ses tableaux, pour 400 francs, c’est-à-dire plusieurs mois de subsistance.

Il y a de la naïveté chez Van Gogh, qui rappelle par certains côtés le douanier Rousseau. Ces traits ne sont pas éludés par l’exposition. Cette manière de vouloir dessiner comme à l’Ecole des Beaux-Arts, alors qu’il est cent coudées au-dessus, en utilisant les cours publiés de Charles Bargues et Jean-Léon Gérôme -dont l’exposition présente un exemple-, ces portraits assez maladroits où il s’efforce de faire plaisir au modèle en tentant de respecter les règles communes, ces dessins médiocres ou ces animaux qui traversent avec gaucherie ses paysages magnifiques. Mais il y a la fulgurance d’un prophète, d’un homme en relation directe avec le ciel.

Le 5 juin il peint l’église d’Auvers, un des sommets de sa peinture. Malgré sa modestie symptomatique, il est conscient de la qualité de son tableau : « à présent la couleur est probablement plus expressive, plus somptueuse » écrit-il à son frère.

Figure 5: L’église d’Auvers sur Oise, Orsay. 4-5 juin.

Gachet a une fille, Marguerite. Vincent fait plusieurs fois son portrait. Le film de Pialat avait brodé sur cette histoire. Ce qui se passe n’est pas connu dans le détail, mais ce dut être suffisamment important pour que Gachet prenne la décision radicale de prier le peintre de ne plus se présenter chez lui. Le médecin abandonne son malade. Le collectionneur abandonne son artiste. Cette exclusion de la maison Gachet, est une double blessure. Vincent écrit, amer

« je crois qu’il ne faut aucunement compter sur le docteur Gachet. D’abord, il est plus malade que moi, ou mettons juste autant. Or, quand un aveugle mènera un autre aveugle, ne tomberont-ils pas tous deux dans le fossé ? ».

L’ancien prédicateur cite Matthieu 15, 14 et il parle au nom du Christ.

Il choisit un nouveau type de toiles. Les « double-carrés », des toiles d’un mètre sur cinquante centimètres qu’il utilise généralement en longueur. L’exposition présente pratiquement l’ensemble de cette production -11 toiles sur 12 ! Le format semble influencer le contenu. La peinture écrasée, un « ciel bas et lourd » pèse sur les compositions, c’est une peinture saturnienne, mélancolique, comme l’est le fameux Champ de blé aux corbeaux, mais la bile noire est le trait commun de ces tableaux.

Figure 6: Champ de blé sous un ciel d’Orage, Musée Van Gogh, Amsterdam. 9 Juillet.
Figure 7: Champ de blé aux corbeaux, deuxième quinzaine de juillet.

Un deuxième événement néfaste se produit. Vincent va voir son frère à Paris. Il est supposé y rester quelques jours pour passer un bon moment en famille et profiter de son tout jeune neveu, mais la première journée se passe très mal et il repart le soir même. Il semble qu’il ait mal supporté que sa belle-sœur interfère dans la relation fusionnelle qu’il a depuis toujours avec son frère, et que celle-ci se soit montrée agacée par les perpétuels besoins d’argent de son beau-frère, d’autant plus que Théo rencontre, à ce moment-là, des difficultés professionnelles au sein de la galerie Goupil[1]. Il a aussi été choqué par la manière dont ses tableaux sont remisés dans une pièce misérable. Vincent repart vers Auvers ne sachant pas de quoi l’avenir sera fait. Quelques jours plus tard, il écrit une lettre où il semble désemparé. Une autre ressemble à un appel au secours :

« j’ai peint trois grandes toiles. Ce sont d’immenses étendues de blés sous des ciels troublés, et je ne me suis pas gêné pour chercher à exprimer de la tristesse, de la solitude extrême ».

Isolé, il vit ses derniers jours en s’accrochant à sa peinture et en respectant ses horaires de travailleur de la terre, mais ses lettres expriment une tristesse de plus en plus néfaste. Avec l’arme de Ravoux, il se tire une balle dans la poitrine, qui finit sa course dans le ventre. Il perd connaissance, se réveille et regagne l’auberge en marchant. Gachet est le seul médecin disponible. C’est lui qui vient le soigner et qui comprend qu’il n’y a rien à faire. Vincent ne peut boire, car les intestins sont touchés, mais il peut fumer. Son frère prévenu par un billet, accourt à son chevet. Les témoins les entendent converser en néerlandais. Le 29 juillet, à 1 heure 30 du matin, à l’âge de 37 ans, l’âge de Raphael et de Caravage, Vincent quitte ce monde.

Artaud avait parfaitement compris Van Gogh, mais à la manière d’un poète, la très importante exposition du musée d’Orsay, permet de le comprendre avec la rigueur d’un historien d’Art.

Philippe PREVAL  Paris 31 Décembre 2023

NOTE

[1] Il a consacré sa thèse de médecine, en 1858, à la mélancolie.
[2] Musée Van Gogh, Amsterdam
[3] qu’il a n’a connu que par une lithographie
[4] Musée d’Orsay, Paris
[5] La galerie parisienne, qui disposait de plusieurs succursales en Europe, avait employé un des oncles de Vincent, et Vincent lui-même quand il avait une vingtaine d’années, avant d’employer Théo. D’une certaine façon, elle faisait vivre depuis trente ans la famille Van Gogh.

Versione Italiana

Il 17 maggio 1890, Vincent Van Gogh ritorna a Parigi dopo il soggiorno di un anno al manicomio Saint Paul a Saint-Rémy-de-Provence dove era stato internato di sua volontà dopo diversi attacchi di demenza ad Arles ma che finì per considerare come una prigione. Tre giorni dopo si reca ad Auvers-sur-Oise, dove vive un medico specializzato in malattie nervose, il dottor Paul Gachet, conosciuto da suo fratello tramite Camille Pissarro. Gachet è un pittore dilettante, gli piace l’impressionismo, è in contatto oltre con Pissarro, con Cézanne e Guillaumin. Potrà prendersi cura di Vincent. Vincent prende una stanza alla locanda Ravoux che offre prezzi più economici. Gli restano 70 giorni di vita.
Saranno 10 settimane di intensa produttività poiché realizza più di un dipinto al giorno, ed oggi la mostra al museo d’Orsay “Van Gogh in Auvers” ce ne dà pienamente conto. Per certi aspetti questa mostra è una sorta di diario del pittore e il visitatore è come se seguisse passo dopo passo la Passione di Vincent che, come quella di Cristo, inizia con il sole, con l’ingresso gioioso in Gerusalemme, e poi si oscura inesorabilmente per concludersi, nel suo caso, con un colpo di rivoltella al petto.
Vincent non si presenta a mani vuote dal dottor Gachet, ha con sé la Pietà che ha realizzato dopo Delacroix, e soprattutto uno dei suoi autoritratti più sorprendenti. Questo dipinto carico di tensione, con uno sguardo curioso ma anche preoccupato, ricorda l’autoritratto di David, David in vinculis, dipinto in regime di detenzione dall’artista già rivoluzionario e Robespierrista mentre era in attesa dell’esito del suo processo. Gachet ne è sedotto. Vuole immediatamente che Vincent dipinga il suo ritratto.
Vincent scrive al fratello: “Ho visto il signor dottor Gachet, che mi ha dato l’impressione di essere piuttosto eccentrico…”, ma è comunque conquistato dall’entusiasmo del dottore per la pittura. Gli piace il villaggio. I suoi tetti di paglia che gli ricordano il suo paese, l’assenza di qualsiasi fabbrica o di qualsiasi modernità lo fanno sentire bene lì. E in effetti la mostra permette di comprendere perfettamente l’ambiente e il modo di vivere. Vincent si alza presto per poter lavorare all’aria aperta, poi il pomeriggio ritocca le sue tele nella “stanza dei pittori” e infine va a letto presto. Questa vita ascetica produce i suoi risultati. Ne escono dei capolavori, a partire dalle pittoresche case del borgo, ma non esita anche ad avventurarsi in temi tipicamente impressionisti, come le scene di barche. La domenica pranza con il dottor Gachet. Durante una delle sue visite al giardino del dottore, dipinge un quadro abbagliante che sembra un giardino esotico. Per il dottor Gachet dipinge due ritratti, dove sembra completamente libero dai vincoli della rappresentazione e della somiglianza. Inoltre con Gachet realizza la sua prima e unica incisione, che non è altro che un ritratto del medico, e la mostra presenta anche la lastra di rame incisa. È un periodo solare tanto che la corrispondenza con il fratello sembra più tranquilla e poi, incredibilmente, questi vende uno dei suoi quadri per 400 franchi, vale a dire diversi mesi di sussistenza.C’è dell’ingenuità in Van Gogh, che per certi versi ricorda Rousseau il doganiere. Questi tratti non vengono elusi dalla mostra. L’idea è disegnare come all’Ecole des Beaux-Arts, utilizzando i corsi pubblicati di Charles Bargues e Jean-Léon Gérôme – di cui la mostra presenta un esempio; ne escono ritratti piuttosto goffi dove si sforza di compiacere il modello cercando di rispettare le regole comuni, come pure disegni mediocri, nonché animali che attraversano goffamente i suoi magnifici paesaggi. Ma è l’abbaglio di un profeta, di un uomo in rapporto diretto con il cielo.Il 5 giugno dipinge la chiesa di Auvers, una delle vette della sua pittura. Nonostante la sua notoria modestia, è consapevole della qualità della sua pittura: “ora il colore è probabilmente più espressivo, più sontuoso” scrive al fratello. Gachet ha una figlia, Marguerite. Vincent dipinge più volte il suo ritratto. Il film di Maurice Pialat aveva ricamato su questa storia. Ciò che accadde non si sa nei dettagli, ma deve essere stato abbastanza importante perché Gachet prendesse la decisione radicale di chiedere al pittore di non venire più a casa sua. Il medico abbandona il suo paziente. Il collezionista abbandona il suo artista. Questa esclusione da casa Gachet è un doppio infortunio. Vincent scrive con amarezza: “Credo che non dovremmo contare in alcun modo sul dottor Gachet. Innanzitutto è più malato di me, o almeno altrettanto. Ora, quando il cieco guida un altro cieco, non cadranno tutti e due nel fosso? “. L’ex predicatore cita Matteo 15:14 e parla in nome di Cristo.Sceglie un nuovo tipo di tela. I “doppi quadrati”, tele di un metro per cinquanta centimetri che generalmente utilizza in lunghezza. La mostra presenta praticamente tutta questa produzione: 11 dipinti su 12! Il formato sembra influenzare il contenuto. La vernice frantumata, un “cielo basso e pesante” grava sulle composizioni, è una pittura saturnina, malinconica, come il famoso Campo di grano con corvi, ma la bile nera è il tratto comune di questi dipinti. Si verifica un secondo evento dannoso. Vincent va a trovare suo fratello a Parigi. Dovrebbe restare lì qualche giorno per divertirsi con la famiglia e godersi il giovane nipote, ma il primo giorno va molto male e lui parte la sera stessa. Sembra che avesse difficoltà a sopportare il fatto che la cognata interferisse nel rapporto stretto che ha sempre avuto con suo fratello, e che fosse infastidita dal perpetuo bisogno di denaro di suo cognato, soprattutto perché Théo incontrava professionisti in difficoltà alla galleria Goupil in quel momento. Era anche scioccato dal modo in cui i suoi dipinti erano conservati in una stanza miserabile. Vincent parte per Auvers senza sapere cosa gli riserverà il futuro. Pochi giorni dopo scrisse una lettera in cui sembrava sconvolto e una che suona come un grido di aiuto: “Ho dipinto tre tele di grandi dimensioni. Sono immense distese di grano sotto cieli inquieti, e non ho esitato a provare ad esprimere la tristezza, l’estrema solitudine.Isolato, vive i suoi ultimi giorni aggrappato al suo dipinto e rispettando i suoi orari di lavoro, ma le sue lettere esprimono una tristezza sempre più profonda. Finché con la pistola di Ravoux si spara al petto, finendo nello stomaco. Perde conoscenza, si sveglia e torna alla locanda. Gachet è l’unico medico disponibile. È lui che viene a curarlo e che capisce che non c’è niente da fare. Vincent non può bere perché il suo intestino è colpito, ma può fumare. Il fratello, informato da un biglietto, corre al suo capezzale. I testimoni li sentono conversare in olandese. Il 29 luglio, all’1:30, all’età di 37 anni, l’età di Raffaello e Caravaggio, Vincent lascia questo mondo.Artaud aveva capito perfettamente Van Gogh, ma come un poeta, l’importantissima mostra del museo d’Orsay gli permette di essere compreso con il rigore di uno storico dell’arte.