Flore ou Vénus ? La juste « traduction » d’un chef-d’œuvre de Poussin révèle des sens cachés. Quand la culture païenne promeut les vertus chrétiennes (con versione in Italiano).

di Philippe PREVAL

Un article récemment publié par l’historienne d’art Emily A. Benny dans la Revue du Louvre (2019-4)[1] propose de voir dans le personnage principal du Triomphe de Flore de Nicolas Poussin, non pas Flore mais Vénus. Il s’agirait donc d’un Triomphe de Vénus et non de Flore. Le tableau est célèbre, il a été peint vers 1627-28 pour Luigi Alessandro Omodei [2] (1608-1685), issu d’une riche famille de banquiers lombards, qui était alors un très jeune protonotaire, mécène à ses heures, et qui devait devenir cardinal, plus de 20 ans après (1652) grâce à la protection d’Innocent X. Le tableau fut acquis par Louis XIV dès 1685 et il est aujourd’hui l’une des fiertés du Louvre.

Que ce tableau, qui a suscité l’attention de Bellori et fait l’admiration de Ruskin et de Cézanne, soit ainsi « chahuté » dans sa signification première, car enfin triomphe de Flore ou de Vénus, ce n’est pas un simple détail, est assez stimulant et, que cela soit vrai ou faux, importe peu du moment que c’est l’occasion de débattre des mérites comparés de l’une et l’autre déesses et des intentions ou objectifs du grand peintre.

Figure 1 Le Triomphe de Flore, Musée du Louvre

Avant d’entrer dans le détail des arguments, prenons la peine de rappeler un des grands principes naguère établi par Philippe Bruneau [3], qui avait une assez bonne connaissance de la Grèce : étant anthropomorphes, les dieux grecs ne peuvent être identifiés que par leurs attributs. Un noble barbu affublé d’un trident devient Poséidon, Zeus s’il tient un foudre et Hadès s’il est armé d’une fourche. Il en va de même des Aphrodite[4], Artémis, Athéna, Héra et autres. De même aussi des divinités romaines. Seul Pan, mi-homme, mi-bouc échappe à cette règle. Or, dans le tableau de Nicolas Poussin, les attributs sont rares et plus que discrets. Les attributions sont donc réduites à des conjectures.

Vénus donc, et non pas Flore.

Résumons les arguments de l’auteur. Ils sont au nombre de quatre: le personnage dansant en tête de cortège est très semblable[5] à la Flore de l’Empire de Flore, du musée de Dresde[6] et proche de la Flore Farnèse, Vénus est rarement en vert [7], le guerrier qui offre des fleurs à la divinité assise sur le char est difficilement identifiable comme Ajax – il s’agirait plutôt de Mars[8]-, le char est tiré par des Amours, dont Eros lui-même. Disons-le tout de go, chacun de ces arguments peut être contesté.

Le fait que le même personnage se retrouve dans deux œuvres différentes avec des significations différentes est très commun chez Poussin et pas seulement chez lui. Comme beaucoup d’autres peintres de son temps, Poussin compose son tableau en empruntant des formes, des personnages, des schémas, des attitudes à des œuvres existantes dont il est ou non l’auteur. Il le fait pour le bien de la composition et pour la force de l’expression. Par exemple, dans le Massacre des Innocents de Chantilly, le second personnage féminin, qui s’arrache les cheveux d’une façon si éloquente, est en fait, une Niobide. Poussin l’a intégrée dans son tableau parce qu’elle exprimait particulièrement bien la douleur, pas parce qu’elle avait maille à partir avec les Latonides. De même, dans Mercure et Aglaure, de l’Ecole des Beaux-Arts, Aglaure reprend le personnage de Vénus épiée par des Bergers [9] de Dresde, en se limitant, là encore, à la reprise d’une forme, exprimant l’abandon, la lascivité, sans référence à son identité, Vénus dans un cas, Aglaure dans l’autre. On peut multiplier les exemples et il est clair que Poussin compose par assemblage d’éléments simples, suivant un « catalogue », qu’il s’est progressivement constitué. Il est donc tout à fait possible que la même danseuse, vêtue de la même robe verte, soit Vénus dans un tableau de 1627 et Flore dans un autre tableau de 1631.

Vénus est rarement habillée en vert, c’est vrai, mais Vénus est rarement habillée tout court, comme nous le verrons. Le vert est la couleur naturelle de Chloris, mais de même que Minerve n’est pas Athéna, Flore n’est pas Chloris. Dans le Printemps de Botticelli qui juxtapose Flore et Chloris, la seconde est grise, vert de gris peut être, et Flore est parée de sa belle robe versicolore, sa robe de toutes les couleurs, à l’image des prairies parsemées de fleurs qui constituent son empire. Il existe toutefois un cycle décoratif où Vénus est clairement vêtue de vert, c’est l’histoire de Psyché de Jules Romain dans la salle éponyme du palais Té et d’ailleurs, elle y danse, couverte d’un léger voile vert, ne cachant rien de son anatomie. Poussin a-t-il connu Mantoue ? C’est un sujet débattu, mais le palais Té est suffisamment important dans l’histoire, pour que nous puissions reconnaître à Vénus le droit de s’habiller en vert si tel est son bon plaisir.

Abordons maintenant les putti qui tirent le char. Le char de Vénus est tiré alternativement par des cygnes, des oies ou des colombes, celui de Déméter ou Cérès par des dragons ou des serpents, celui de Bacchus par des tigres ou des panthères, etc… Que le char d’une divinité soit tiré par des putti est assez rare mais ce n’est pas la preuve, qu’il s’agit du char de Vénus. Dans de nombreux autres tableaux de Poussin, quand Vénus est présente avec son char, les colombes ne sont jamais loin.

Reste le personnage du guerrier offrant des fleurs, en se servant de son bouclier comme corbeille. On peut y voir Mars de dos. Mars, né, selon certaines légendes, de Junon seule, grâce à l’action de Flore (Ovide, Fastes, V, 229 et seq), a effectivement un lien avec la déesse. On peut tout aussi bien y voir Ajax qui fut métamorphosé en fleur (Ovide, Métamorphoses, XIII, 2) et dont, rappelons-le, le bouclier, qu’Homère décrit en détail, et dont Ovide souligne l’importance (Ovide, Métamorphoses, XIII, 2, « Ajax, le héros au bouclier aux sept peaux, se dressa devant eux. » ; et plus loin, le poète insiste sur le fait que c’est avec ce bouclier qu’il sauva le pleutre Ulysse) est le véritable attribut, bien plus que le glaive, qui lui a été offert par Hector à la suite de leur combat « homérique » et avec lequel il se suicidera. Transformer ce bouclier emblématique en corbeille de fleurs serait d’ailleurs un bel exemple du retournement des attributs guerriers en symbole de paix, ce retournement étant apporté par la mort et la métamorphose à laquelle préside Flore.

Retour à Bellori

Le Triomphe de Flore est l’un des tableaux de la première période romaine de Poussin que Bellori prend soin de décrire en détail. Son texte mérite d’être cité :

«Passons au Triomphe de Flore. Assise sur un char d’or, elle est servie par les Amours, avec la permission de Vénus qui accompagne le triomphe. Deux enfants ailés, une guirlande de fleurs sur la poitrine, tirent le char ; au-dessus d’eux, dans l’air, un petit Amour couronne la déesse, reine du doux printemps, pendant qu’à terre, près des roues, leurs compagnons jouent avec des paniers de fleurs, célébrant la saison joyeuse et propice aux amours. Flore se tourne vers Ajax et Narcisse qui lui offrent un tribut : Ajax, en cuirasse, lui présente ses fleurs dans son bouclier ; le jeune Narcisse, nu, lui offre ses blancs narcisses. Devant le char, la première de toutes, avance Vénus dansant avec les Amours, couronnée de roses blanches et rouges teintes de son sang. La gaieté de la peinture fait oublier ici le deuil de Vénus, à nouveau accompagnée de son cher Adonis qui la suit, couronné de fleurs ; d’une main, il tient un panier d’anémones pourpres, de l’autre, il en offre quelques-unes à Jacinthe, penché vers un petit Amour qui attache à ses cheveux une couronne de fleurs bleues, qui sont nos jacinthes. Des figures nues sont assises, d’autres portent sur la tête et dans les mains paniers et guirlandes, qui complètent cette image peinte à l’origine pour le cardinal Aluigi Omodei ».

L’interprétation de l’historien italien est sans ambiguïté. Il est important de noter que Bellori, comme Passeri, a bien connu Nicolas Poussin, que ce dernier a été sa principale source concernant les passages biographiques et presque hagiographiques, que comprend son texte et qui sont aujourd’hui encore des éléments fondamentaux pour ce qui concerne l’histoire de la jeunesse du peintre. Il est fort probable que les descriptions de tableaux ont également fait l’objet de discussions avec le peintre et il serait très étonnant que celui-ci ait confondu Vénus et Flore. Poussin avait, au contraire, une parfaite connaissance de la signification de ses œuvres, comme le montre son commentaire, fait à Sandrart, sur la « Nymphe sur un bouc » aujourd’hui à l’Ermitage, qu’il identifiait justement à Vénus et nommait « la mia piccola Venere »[10]. Au surplus, le texte de Bellori souligne subtilement les quelques rares attributs qui figurent dans le tableau. La jeune fille en vert est « couronnée de roses blanches et rouges teintes de son sang ».

Les roses sont un attribut secondaire de Vénus et faisaient l’objet de son culte. Elles ont effectivement été teintées de son sang quand elle s’est piqué le pied avec leur tige (Théocrite, Ovide, Métamorphoses, X) et cette piqure a fait partie de la technique de séduction que Vénus a employée à l’adresse d’Adonis (Giambatista Marino, Adone, Chant III). Le texte insiste sur l’omniprésence des fleurs, éléments prépondérants des floralies et symboles de Flore. Quant à « Ajax, en cuirasse, (il) lui présente ses fleurs dans son bouclier ». C’est « son bouclier », ni « un » bouclier »[11], ni un simple panier. Sans citer les textes de référence, Bellori montre qu’il les connaît et il décrit l’ensemble de la procession, comme une représentation sublimée du joyeux cortège des Floralia où une jeune fille jouant le rôle de Flore, était conduite en triomphe, précédée et accompagnée d’une joyeuse troupe de « Puellae vulgares » ne cachant rien de leurs atours.

Plutôt que critiquer de façon acerbe Bellori [12], il est peut-être plus sage d’essayer de le comprendre et de considérer qu’un auteur contemporain du peintre, baignant dans le même milieu culturel [13], et ayant entretenu des liens d’amitié intellectuelle avec l’auteur qu’il portait au pinacle et considérait comme le « sauveur » de la peinture, peut avoir raison quand il décrit un tableau.

Représenter Vénus à l’époque moderne

Il nous faut ici revenir brièvement sur l’histoire de la représentation d’Aphrodite et Vénus. Aphrodite est d’abord représentée de façon très diverse, généralement vêtue d’un péplos, et d’une carrure imposante comme l’Aphrodite Ourania de Phidias (type Pamphilj), l’Aphrodite des Jardins (Alcmène), l’Aphrodite à la tortue, etc… Mais elle peut aussi être armée, barbue, phallique, etc… Il y a à peu près autant de représentation d’Aphrodite que de lieux de culte qui lui sont consacrés, comme l’a montré Vinciane Pirenne Delforges [14]. Au IVe siècle, tout change, Aphrodite se dénude. Praxitèle crée la célèbre Aphrodite de Cnide dont le modèle de beauté parfaite, tout en courbes, se déploie en multiples variations. La représentation de Vénus, qu’il ne faut pas concevoir comme une simple Aphrodite latine[15], mais qui reprend certaines caractéristiques de sa sœur grecque, est diverse elle aussi. Mais elle est généralement vêtue comme une matrone : telles la Vénus Genitrix, la Venus Felix ou la Venus Victrix, qui sont bien connues par les monnaies impériales. Quand Pline voit, dans le temple dédié à Mars par Brutus Callaïcus, une Vénus nue, qui est en fait une statue hellénistique d’Aphrodite, il le note, car ce n’est pas quelque chose d’habituel[16]. Mais Rome s’embourgeoise, les riches romains veulent décorer les galeries ou les atriums de leurs villas. Quoi de plus décoratif que ces belles déesses grecques aux fesses rebondies que produisent à la chaîne des ateliers de Grèce ou de la péninsule, copiant des modèles hellénistiques inspirés de Praxitèle ? Il y a donc à Rome, deux représentations de Vénus, celle des temples et des autels familiaux, celle des villas, des lupanars et des thermes.

Avec l’avènement du christianisme, Vénus est vouée aux gémonies, c’est la grande prostituée des Pères de l’Eglise, la meretrix. Lactance la traîne dans la boue, on ne la représente pas. Elle réapparaît pourtant dans le Roman de la Rose, le plus souvent vêtue comme une dame de qualité, souvent en blanc. Marsile Ficin réhabilite la déesse de l’amour, elle devient pour lui l’Intelligence, son commentaire du Banquet de Platon (De Amore) et la traduction latine qu’il a fait de celui-ci, remettent Vénus au cœur du jeu des débats et des représentations. Elle n’est plus la meretrix, elle est la déesse de l’Amour et l’Amour est non seulement le premier sujet des débats philosophiques mais aussi le chemin qui conduit vers Dieu. Les peintres contemporains se posent la question de la représentation de Vénus dont certaines statues commencent à être redécouvertes. Vénus est habillée telle celle de Francesco del Cossa à Schifanoia ou celle du Printemps de Botticelli, Vénus est nue comme dans la Naissance de Vénus du même peintre, comme dans le Parnasse de Mantegna, à moitié habillée comme dans le Combat des vertus et des vices de Pérugin, qui prend soin de mettre un cartel pour qu’on puisse identifier la déesse. Mais les fouilles progressent, elles mettent à jour de petits bronzes et de grandes statues. Peu de statues de culte, beaucoup de grandes statues décoratives. Vénus prend progressivement l’apparence de l’Aphrodite de Cnide. Qu’elle soit Médicis, Callipyge, Capitoline, c’est toujours la même Aphrodite.

La nudité n’a rien de caractéristique pour l’Aphrodite grecque, ni pour la Vénus romaine, elle devient un quasi-attribut de la Vénus de la Renaissance et de la période classique. Vénus est représentée à sept reprises dans les loges du Vatican, toujours nue. Elle est omniprésente au palais Té, très souvent nue, toujours dénudée. Titien la peint souvent, nue. Rosso et Primatice couvrent les murs de Fontainebleau de son image, le plus souvent nue, là encore. Poussin est l’héritier légitime de toute cette tradition. A l’inverse de ses collègues bolonais, il n’a aucune mémoire du cardinal Paleotti qui détestait ces images lascives dont il pressentait la puissance païenne. Il peint fermement, noblement, voluptueusement Vénus dans la splendeur de sa nudité, dans toute la force de sa sensualité. Qu’elle soit dans les bras de Mars, d’Adonis ou de Mercure ; qu’elle soit épiée par des bergers ou par des satyres, avec ou sur des faunes, qu’elle conduise son fils Enée vers les armes que lui a forgées Vulcain, et qu’elle a dument payée de ses charmes, la Vénus poussinienne est presque toujours nue ou dénudée[17].

Cette jeune femme aux allures de matrone, vêtue d’une robe blanche bien ceinturée et ne dégageant aucune once de sensualité pourrait être Vénus mais ce serait la Vénus du mois d’Avril du palais de Schifanoia qui reçoit les hommages de son chevalier servant, Mars, à genou devant elle. Cette image est tout empreinte d’amour courtois[18], de culture chevaleresque si populaire parmi les élites de Ferrare, elle n’a rien à voir avec la culture voluptueuse du néoplatonisme qui s’est développée à Florence, réhabilitant la Vénus céleste mais aussi la Vénus terrestre, puis s’est déployée à Rome avec les papes Médicis, a connu une éclipse et a repris force à nouveau à Rome au XVIIe siècle :culture dont le Nicolas Poussin des premières années romaines est le porte-étendard.

Figure 2 Francesco dell Cossa, Palais Schifanoia, Ferrare, Mois d’Avril (détail) : Mars agenouillé devant Vénus reconnaissable à la pomme qu’elle tient, à sa couronne de roses et aux cygnes qui tirent son char.

 Quel sens pour ce tableau ?

Si c’est bien Vénus qui mène le cortège en dansant, si c’est bien Flore qui est assise sur son char, si Ajax est Ajax, Narcisse, Narcisse et Adonis, Adonis, que signifie le tableau et en quoi répondait-il au désir de ce jeune mécène de 19 ans, docteur en droit, protonotaire d’Urbain VIII ? Les histoires qui sous-tendent le tableau sont des drames, Narcisse a été, en raison de sa stupidité et de sa vanité, condamné par Vénus, à un faux amour, l’amour de lui-même qui causera sa mort ; Ajax l’orgueilleux, frustré, par vengeance d’Athéna, de ne pas avoir obtenu les armes d’Achille, qu’il méritait pourtant mille fois plus que son ennemi Ulysse, se ridiculise, devient fou, perd toute contenance et finit par se suicider lamentablement ; Adonis, victime de son outrecuidance, quitte les bras de Vénus pour des chasses futiles et meurt sous la dent d’un sanglier… Tous ces drames, dont le terme commun n’est pas, comme le dit l’auteur, l’amour [19], mais la vanité, l’orgueil, l’outrecuidance, l’inconséquence (Hyacinthe), un ensemble cohérent de défauts qui s’opposent à la tempérance, à l’humilité, sont dispersés dans les Métamorphoses mais réunis dans les Fastes[20] à l’exception d’Ajax qui, de tous ces épisodes, est le plus tragique et que Poussin a justement attrait à sa cause[21].

Tous ces événements néfastes sont transformés, retournés en joie par la force conjointe de l’amour, comme renouvellement permanent, et par les capacités métamorphiques de Flore[22] qui agissent comme les capacités salvifiques du Christ. Ceux dont elle a transmué les blessures, en beauté, entourent Flore dans une atmosphère harmonieuse et apaisée. Le plus beau des symboles, c’est le bouclier d’Ajax, arme de guerre, qui devient panier de fleurs, symbole de paix[23]. Cela n’est pas sans rappeler Esaïe et les épées qui deviennent socs de charrues[24]. Le drame s’arrête au seuil de la mort, la tristesse fait place à la liesse et à la danse, la paix chasse la guerre.

Dans cet esprit, Vénus et Flore, qui avaient connu, l’une comme l’autre, de graves déboires au Moyen-Age et avaient été, l’une et l’autre[25], considérées comme d’anciennes prostituées divinisées, se muent en deux sœurs qui agissent de concert. L’une est chargée du mouvement du monde par l’amour qu’elle inspire aux êtres vivants et c’est pour cette raison qu’elle guide joyeusement le cortège, en dansant. Car la danse n’a rien d’anecdotique. La danse a un caractère cosmique. Elle signifie et établit l’harmonie, la paix et l’amour qui président au rythme et à la finalité du monde. C’est bien Vénus qui mène ce cortège. Ce ne peut être que Vénus. Car, comme l’avait si bien compris Marino, qui fut le maître, le professeur, l’éveilleur de conscience, le guide de Poussin, Vénus est non seulement la déesse de l’Amour mais aussi et surtout la déesse de la paix. C’était le sens profond de son grand poème, l’Adone. Quant à Flore, elle déploie son pouvoir de métamorphose de la mort en force de renouveau[26], elle transforme la douleur en beauté. Quoi de plus approprié pour un jeune prince de l’Eglise ? Le tableau de Nicolas Poussin, bien plus profond que celui de Dresde, est l’antithèse d’une danse macabre, l’antithèse d’une méditation sur la mort, d’une œuvre sinistre, grinçante, désespérante ou d’un divertissement libertin. Il est une œuvre de joie profonde, de paix, d’espoir.

On pourrait même proposer, pour conclure, une lecture à double niveau de ce tableau célèbre. Tout en étant imprégné de culture classique, de cette culture païenne que certains voulaient éradiquer, il promeut de grandes vertus chrétiennes directement héritées du judaïsme, la confiance d’abord, la confiance qui permet de ne pas s’arrêter au drame, l’espérance qui permet d’aborder les plus grandes épreuves, dans l’attente de la résurrection, et l’amour, Amour de Dieu, amour de Vénus qui guide le cortège des blessés de la vie transformés en fleurs. Confiance, c’est Fides, la foi, Espérance, c’est Spes, Amour, c’est Caritas.

Fides, Spes, Caritas, les trois vertus qui trouvent leur source directement en Dieu.

Philippe PREVAL   Paris 24 Septembre 2023

NOTE

[1] Benny (Emily A.), Jeunes filles en vert, une relecture du triomphe de Flore, Revue du Louvre (2019-4), [Beeny, 2019]
[2] Thuilier pense toutefois que ce point est contestable. Il formule l’hypothèse que le tableau a été en fait commandé par le cardinal Sachetti et ensuite vendu par celui-ci à Omodei. Thuillier (Pierre), Poussin, Paris, 1994, p. 248 ([Thuillier, 1994]. Pierre à la suite de Stéphane Loire, réaffirme clairement la commande par Omodei documentée par Bellori, comme par Felibien. Rosenberg (Pierre), Poussin les Tableaux du Louvre, Paris, 2015, p. 72, [Rosenberg, 2015].
[3] Voir en particulier Bruneau (Philippe), Existe-t-il des statues d’Isis Pélagia, BCH, 1974, p. 374 : « mode de formation des images divines dans l’art grec et romain ».
[4] Les attributs d’Aphrodite/Vénus sont nombreux : la pomme, le miroir, la ceinture qui la rend irrésistible, le myrte qui est son arbre, les roses, les cygnes ou les oies et plus tardivement les colombes qui tirent son char. On la reconnait aussi par le contexte, par la présence d’Eros ou des attributs d’Eros en particulier.
[5] Beeny, 2019 p. 38.
[6] Peint en 1631 pour Francesco Barberini (1597-1678), neveu d’Urbain VIII, créé cardinal dès 1623, la valeur n’attendant pas le nombre des années quand on est le neveu d’un pape.
[7] Beeny, 2019, p. 38. « pourquoi la vêtir de vert alors qu’on attendrait normalement du bleu ou du rouge ».
[8] Beeny, 2019, p. 39.
[9] Qui se retrouve aussi presque à l’identique dans Vénus et Adonis de Fort Worth.
[10] Blunt (Anthony):  Poussin Studies VII: Poussins in Neapolitan and Sicilian Collections, The Burlington Magazine Vol. 100 (Mar., 1958), pp. 76-87.
[11] Comme le dit l’auteur, Beeny, 2019 p. 32.
[12] Beeny, 2019 p. 38 : « 33 ans après, Bellori s’ingénie à justifier des discordances iconographiques crées par ce titre traditionnel ».
[13] Par exemple, Bellori, et tout humaniste romain classique, ne qualifiera jamais Ajax de « soldat » (Beeny, 2019 p. 32) comme l’auteur, mais lui donnera toujours le titre de héros, comme Homère, comme Ovide. Beeny, 2019 p. 39 : « et que vient faire le soldat fou Ajax… ».
[14] Pirenne Delforges (Vinciane), L’Aphrodite grecque, Liège, 1994.
[15] Elle est en particulier l’alma mater, la mère et protectrice d’Enée, la mère des romains et plus tardivement la mère des empereurs. Les César sont sa famille.
[16] Pline, Histoires Naturelles, XXXVI, 14.  
[17] Sur plus de 20 tableaux, la seule fois où elle est habillée, c’est quand elle est au chevet d’Adonis mort (musée des Beaux-Arts de Caen) dans une composition qui reprend la structure d’une piéta.
[18] Beeny, 2019 p 39, parle d’un « témoignage de tendre allégeance du dieu de la guerre à la déesse de l’amour ». C’est se tromper de culture. Dans les tableaux de Poussin, Vénus reçoit de multiples témoignages de tendresse de ses différents amants mais ceux-ci ne sont clairement pas animés par un sentiment d’allégeance. Quant à elle, ce n’est certainement pas de l’allégeance qu’elle attend de ceux-ci.
[19] Beeny, 2019 p. 40
[20] V, 223-228
[21] Pour la transformation d’Ajax ; Métamorphoses, XIII, 394’5. Mais c’est justement, une partie constitutive du génie de Poussin de suffisamment connaître les textes sources pour les recomposer et les renforcer, ce qui serait hors de portée d’un simple lecteur de mythographes. L’histoire d’Ajax est bien plus dramatique, bien plus triste, que toutes les autres, car elle n’est pas l’histoire d’un crétin qui veut chasser le sanglier ou d’un imbécile qui se blesse en lançant un disque, mais la tragédie du plus valeureux des guerriers grecs, celui qui, à lui seul, a arrêté les Troyens d’Hector qui se ruaient sur les vaisseaux, alors qu’Achille restait dans sa tente et que tous les autres étaient submergés (« moi, je les ai bravés et les ai chassés loin de notre flotte. » Métamorphose, XIII, 8). Ajax, c’est la tragédie de l’homme d’action bafoué par le politique, et de cette tragédie, Flore fait un geste de paix.
[22] Elle le dit elle-même ! Ovide, Fastes, V, 228 : « de quorum per me volnere surgit honor? », de leurs blessure par moi surgit l’honneur (de leurs blessures, j’ai fait jaillir de la beauté).
[23] C’est pourquoi nous pensons qu’il s’agit bien d’Ajax parce ce que cette inversion du sens du bouclier est essentielle à la construction du sens du tableau.
[24] Esaïe, 2, 4 : Il sera le juge des nations, L’arbitre d’un grand nombre de peuples. De leurs glaives ils forgeront des hoyaux (des socs), Et de leurs lances des serpes: Une nation ne tirera plus l’épée contre une autre, Et l’on n’apprendra plus la guerre.
[25] Lactance, Institutions divines, II: « Nec hanc solam Romani meretricem colunt, sed Faulam quoque, quam Herculis scortum fuisse Verrius scribit. Jam quanta ista immortalitas putanda est quam etiam meretrices assequuntur? Flora, cum magnas opes ex arte meretricia quaesivisset, populum scripsit haeredem, certamque pecuniam reliquit, cujus ex annuo foenore suus natalis dies celebraretur editione ludorum, quos appelant Floralia » Et les Romains vénèrent non seulement cette prostituée (Acca Larentia ou Faustina, la lupa), mais aussi Faula, dont Verrius écrit qu’elle était la prostituée d’Hercule. Quelle doit être, selon nous, la grandeur de cette immortalité à laquelle même les prostituées parviennent ? Flore, après avoir acquis une grande richesse par la pratique de la prostitution, désigna le peuple comme son héritier, et laissa une certaine somme d’argent, dont les intérêts annuels devaient servir à célébrer son anniversaire par des jeux publics qu’ils appellent Floralia.
[26] Pierre Rosenberg souligne cet aspect du tableau : « … allusion à la résurrection et à la réincarnation, le tableau se déploie en une lente marche ». Rosenberg, 2015, p 74.

Versione in Italiano

Un articolo recentemente pubblicato dalla storica dell’arte Emily A. Benny sulla Revue du Louvre (2019-4) suggerisce di vedere nel personaggio principale del Trionfo di Flora di Nicolas Poussin, non Flora ma Venere. Si tratterebbe quindi di un Trionfo di Venere e non di Flora. Il quadro è celebre, fu dipinto intorno al 1627-28 per Luigi Alessandro Omodei (1608-1685), allora giovanissimo protonotario, proveniente da una ricca famiglia di banchieri lombardi nonché mecenate, divenuto cardinale nel 1652 grazie alla protezione di Innocenzo X . Il dipinto fu acquistato da Luigi XIV nel 1685 e oggi è uno dei fiori all’occhiello del Louvre.
Questo capolavoro attirò l’attenzione di Bellori e l’ammirazione di Ruskin e Cézanne, e il fatto che il suo significato -che si tratti del trionfo di Flora o Venere- sia oggetto di controversia, è alquanto stimolante perché consente di stabilire tanto la comparazione tra le due dee, quanto le intenzioni o gli obiettivi del grande pittore.
Figure 1 Le Triomphe de Flore, Musée du Louvre
Prima di entrare nel dettaglio degli argomenti, occorre tener presente uno dei grandi principi stabiliti in precedenza da Philippe Bruneau (1931 – 2001), archeologo, docente alla Sorbona, che aveva una discreta conoscenza della Grecia, e cioè che essendo antropomorfi, gli dei greci devono essere identificati dai loro attributi. Così Poseidone con il tridente, Zeus che impugna un fulmine o come Ade armato di forcone. Lo stesso vale per Afrodite, Artemide, Atena, Era e per le divinità romane. Solo Pan, metà uomo e metà capra, sfuggiva a questa regola. Tuttavia, nel dipinto di Nicolas Poussin, gli attributi sono rari e più che discreti. Le attribuzioni si riducono quindi a congetture.
Venere quindi, e non Flora.
Le argomentazioni dell’autrice sono quattro: il personaggio danzante in testa al corteo è molto simile alla Flora dell’Impero di Flora, proveniente dal Museo di Dresda e vicina alla Flora Farnese; Venere è raramente in verde; il guerriero che offre fiori a la divinità seduta sul carro non sembra essere Aiace ma più facilmente Marte; il carro è trainato dagli amorini, tra cui lo stesso Eros. In realtà, ciascuno di questi argomenti può essere contestato.Come molti altri pittori del suo tempo, Poussin compone i suoi dipinti prendendo in prestito forme, personaggi, atteggiamenti da opere esistenti, sue o di altri artisti. Ad esempio nella Strage degli Innocenti di Chantilly, il secondo personaggio femminile, che si strappa i capelli in modo così eloquente, è in realtà una niobide che egli inserì nel suo dipinto perché esprimeva particolarmente bene il dolore. Allo stesso modo, in Mercurio e Agraulo, dell’Ecole des Beaux-Arts, Agraulo riprende il personaggio che compare nella Venere spiata dai pastori di Dresda, un’opera che esprime abbandono, lascivia. Gli esempi si possono moltiplicare ed è chiaro che Poussin compone assemblando elementi semplici, seguendo un “catalogo”, da lui via via creato. È quindi del tutto possibile che la stessa danzatrice, vestita con lo stesso abito verde, sia Venere in un dipinto del 1627 e Flora in un altro dipinto del 1631. Vero è che Venere raramente è vestita di verde, ma è altrettanto vero che Venere raramente è vestita, come vedremo. Nella Primavera di Botticelli che giustappone Flora e Clori, la seconda è grigia, forse verderame, e Flora è adornata con il suo bellissimo abito di tutti i colori, come i prati punteggiati di fiori che costituiscono il suo impero. Esiste però un ciclo in cui Venere è chiaramente vestita di verde, è la storia di Psiche di Giulio Romano nell’omonima sala di Palazzo Té e per giunta lì danza, ricoperta da un velo verde chiaro che non nasconde nulla della sua anatomia. Poussin conosceva gli affreschi di Mantova? È un argomento dibattuto, ma il Palazzo Té è importante nella storia tanto da affermare che Venere poteva vestirsi di verde. Riguardo poi ai putti che trainano il carro, si sa che il carro di Venere è trainato alternativamente da cigni, oche o colombe, quello di Demetra, o Cerere, da draghi o serpenti, quello di Bacco da tigri o pantere, ecc. Che il carro di una divinità sia trainato da putti è abbastanza raro, in ogni caso ciò non prova che si tratti del carro di Venere. In molti altri dipinti di Poussin, quando Venere è presente con il suo carro, le colombe non sono mai lontane. Rimane il personaggio del guerriero che offre fiori, usando il suo scudo come un cesto. Possiamo riconoscere Marte da dietro. Marte, nato dalla sola Giunone, grazie all’azione di Flora (Ovidio, Fastes, V, 229 e segg.), ha infatti un legame con la dea. Possiamo altrettanto facilmente riconoscere Aiace il cui vero attributo, ben più della spada, è lo scudo che gli fu offerto da Ettore dopo il loro combattimento, che Omero descrive dettagliatamente e di cui Ovidio sottolinea l’importanza (Ovidio, Metamorfosi, XIII, 2, “Aiace, l’eroe dallo scudo a sette pelli”. Trasformare questo scudo emblematico in un cesto di fiori costituisce un bell’esempio dell’inversione degli attributi del guerriero in un simbolo di pace, inversione provocata dalla morte e dalla metamorfosi su cui presiede Flore.
Ritorno a Bellori
IlTrionfo di Flora è uno dei dipinti di Poussin del primo periodo romano che Bellori si preoccupa di descrivere nei dettagli. Vale la pena citare il suo testo: “Passiamo al Trionfo di Flora. Seduta su un carro d’oro, è servita dagli Amorini, con il permesso di Venere che accompagna il trionfo. Due bambini alati, una ghirlanda di fiori sul petto, trainano il carro; sopra di loro, nell’aria, un piccolo Cupido incorona la dea, regina della dolce primavera, mentre a terra, vicino alle ruote, i compagni giocano con cesti di fiori, celebrando la gioiosa e propizia stagione degli amori. Flora si rivolge ad Aiace e Narciso che le offrono un omaggio: Aiace, in armatura, gli presenta i suoi fiori sullo scudo; il giovane Narciso, nudo, gli offre il suo narciso bianco. Davanti al carro avanza, per prima, Venere danzante con gli Amorini, coronata di rose bianche e rosse tinte del suo sangue. L’allegria del dipinto qui fa dimenticare il lutto di Venere, ancora una volta accompagnata dal suo caro Adone che la segue, incoronato di fiori; in una mano tiene un cesto di anemoni viola, nell’altra ne offre alcuni a Giacinta, chinandosi verso un piccolo Amorino che le attacca tra i capelli una corona di fiori azzurri, cioè i nostri giacinti. Figure nude sono sedute, altre portano cesti e ghirlande sulla testa e tra le mani, che completano questa immagine originariamente dipinta per il cardinale Luigi Omodei”. L’interpretazione dello storico italiano è inequivocabile. È importante notare che Bellori, come Passeri, conosceva bene Nicolas Poussin, che fu la sua principale fonte per quanto riguarda i brani biografici e quasi agiografici, che il suo testo comprende e che costituiscono ancora oggi elementi fondamentali per quanto riguarda la formazione giovanile del pittore. È molto probabile che anche le descrizioni dei dipinti siano state oggetto di discussioni tra i due e sarebbe davvero sorprendente se egli confondesse Venere e Flora. Poussin aveva, al contrario, una perfetta conoscenza del significato delle sue opere come dimostra il suo commento alla “Ninfa su capra” oggi all’Ermitage, che identificò proprio con Venere e chiamò “la mia piccola Venere” . Inoltre il testo di Bellori sottolinea sottilmente i pochi rari attributi che compaiono nella tavola. La fanciulla vestita di verde è “incoronata di rose bianche e rosse tinte col suo sangue”, quando si punse il piede con il loro gambo (Teocrito, Ovidio, Metamorfosi, X) e questa puntura faceva parte della tecnica di seduzione che Venere usò su Adone (Giambattista Marino, Adone, Canto III). Quanto ad “Ajace, in armatura, presenta i suoi fiori nello scudo”. È “il suo scudo”, e non “uno” scudo”, né un semplice cesto. Pur senza citare i testi di riferimento, Bellori dimostra di conoscerli e descrive l’intero corteo come una rappresentazione sublimata del gioioso corteo dei Floralia dove una giovane fanciulla, nei panni di Flora, veniva condotta in trionfo, preceduta e accompagnata da un stuolo di “Puellae vulgares” che non nascondono nulla dei loro ornamenti. Più che criticare aspramente Bellori, è forse più saggio considerare che un autore, contemporaneo del pittore, immerso nel suo stesso ambiente culturale e avendo mantenuto legami di amicizia intellettuale con l’artista da lui considerato il “salvatore” della pittura, possa avere ragione quando descrive un dipinto.
Rappresentare Venere nei tempi moderni
Occorre ora ritornare brevemente alla storia della rappresentazione di Afrodite – Venere. Le rappresentazioni di Afrodite sono tante quanti sono i luoghi di culto, come ha dimostrato Vinciane Pirenne Delforges. Nel IV secolo tutto cambia, Afrodite si spoglia. Prassitele creò la celebre Afrodite di Cnido, il cui modello di perfetta bellezza si dispiega in molteplici varianti. Anche la rappresentazione di Venere -che non deve essere concepita come una semplice Afrodite latina, ma che riprende alcune caratteristiche della sorella greca- è varia ma generalmente vestita come una matrona, come la Venus Genitrix, la Venus Felix o la Venus Victrix. Quando Plinio vede, nel tempio dedicato a Marte da Bruto Callaico, una Venere nuda, che in realtà è una statua ellenistica di Afrodite, nota che non è una cosa consueta. Ma Roma si sta “imborghesendo”, i ricchi romani vogliono decorare le gallerie o gli atri delle loro ville. Cosa potrebbe esserci di più decorativo di queste bellissime dee greche realizzate in Grecia o nella penisola, copiando modelli ellenistici ispirati a Prassitele? Due sono quindi le rappresentazioni di Venere a Roma, quella dei templi e degli altari familiari, quella delle ville, dei bordelli e delle terme. Con l’avvento del Cristianesimo Venere è destinata al disprezzo, è la grande prostituta dei Padri della Chiesa, Meretrix. Tuttavia, riappare nel Romanzo della Rosa, il più delle volte vestita da nobildonna, spesso in bianco. Marsilio Ficino la riabilita, diventa per lui sinonimo di Intelligenza, e nel suo commento al Simposio di Platone (De Amore) rimette Venere al centro di dibattiti e rappresentazioni. Non è più Meretrix, è la dea dell’Amore e l’Amore non è solo il primo argomento dei dibattiti filosofici ma anche la via che conduce a Dio. I pittori contemporanei si pongono la questione della rappresentazione di Venere, di cui si cominciano a riscoprire alcune statue. Venere è vestita come quella di Francesco del Cossa a Schifanoia o quella della Primavera di Botticelli, Venere è nuda come nella Nascita di Venere dello stesso pittore, come nel Parnaso del Mantegna, mezza vestita come nella lotta tra virtù e vizi del Perugino, il quale ha cura di apporre un’etichetta affinché si possa identificare la dea. Ma gli scavi procedono e portano alla luce piccoli bronzi e grandi statue, poche di culto, molte grandi statue decorative. Venere assume gradualmente le sembianze dell’Afrodite di Cnido. Che sia Medici, Callipige, Capitolina, è sempre la stessa Afrodite. La nudità non ha nulla di caratteristico né per l’Afrodite greca, né per la Venere romana, ma diventa quasi un attributo della Venere rinascimentale e classica. Venere è rappresentata sette volte nei palchi vaticani, sempre nuda. È onnipresente a Palazzo Té, molto spesso nuda. Tiziano la dipinge spesso nuda. Rosso e Primaticcio ricoprono le pareti di Fontainebleau con la sua immagine, il più delle volte nuda. Poussin è il legittimo erede di tutta questa tradizione. Egli dipinge Venere nello splendore della sua nudità, in tutta la forza della sua sensualità. Che sia tra le braccia di Marte, Adone o Mercurio; sia che sia spiata da pastori o da satiri o da fauni, sia che conduca il figlio Enea verso le armi che Vulcano forgiò per lui, e che pagò con le sue grazie, la Venere Poussiniana è quasi sempre nuda o spogliata. La giovane donna vestita con un abito bianco ben cinturato e che non trasuda un briciolo di sensualità potrebbe essere Venere ma sarebbe la Venere del mese di aprile del palazzo di Schifanoia che riceve l’omaggio del suo servitore cavaliere, Marte, inginocchiato davanti a lei. Questa immagine è tutta intrisa di amor cortese, di cultura cavalleresca tanto in voga tra le élite ferraresi, non ha nulla a che vedere con la voluttuosa cultura del neoplatonismo che si sviluppò a Firenze riabilitando la Venere celeste ma anche la Venere terrestre, e che si impose a Roma nel XVII secolo: una cultura di cui Nicolas Poussin dei primi anni romani è l’alfiere.
Figure 2 Francesco dell Cossa, Palais Schifanoia, Ferrare, mois d’Avril (détail) : Mars agenouillé devant Vénus.
Qual è il significato di questo dipinto?
Se è proprio Venere a guidare il corteo danzante, se è proprio Flora seduta sul suo carro, se Aiace è Aiace, Narciso Narciso e Adone  Adone, cosa significa il dipinto e come ha soddisfatto il desiderio di mecenate diciannovenne, dottore in giurisprudenza, protonotario di Urbano VIII? Le storie che stanno alla base del dipinto sono drammi: Narciso fu, per la sua stupidità e vanità, condannato da Venere ad un falso amore, l’amore per se stesso, che ne causerà la morte; Aiace, frustrato per non aver ottenuto le armi di Achille, che pur meritava molto di più di Ulisse, si ridicolizza, impazzisce, perde ogni compostezza e finisce per commettere un miserabile suicidio; infine Adone, vittima della sua arroganza, abbandona le braccia di Venere per inutili cacce e muore sotto i denti di un cinghiale… Tutti questi drammi vengono trasformati in gioie dalla forza congiunta di amore come rinnovamento permanente, e dalle capacità metamorfiche di Flora che agiscono come le capacità salvifiche di Cristo.Il simbolo più significativo è lo scudo: arma di guerra, che diventa cesto di fiori, simbolo di pace, come le spade che diventano vomeri. Il dramma si ferma sulla soglia della morte, la tristezza lascia il posto al giubilo e alla danza, la pace scaccia la guerra.In questo senso Venere e Flora, che nel Medioevo erano state entrambe considerate come antiche prostitute divinizzate, sono come due sorelle che agiscono di concerto. L’Unica è responsabile del movimento del mondo attraverso l’amore che ispira agli esseri viventi ed è per questo che guida con gioia il corteo, danzando. Perché la danza non è aneddotica. La danza ha un carattere cosmico. Significa e stabilisce l’armonia, la pace e l’amore che governano il ritmo e lo scopo del mondo. È infatti Venere a guidare questa processione. Non può che essere Venere.Come ben capì Marino, che di Poussin fu maestro, risvegliatore di coscienze, guida, Venere non è solo la dea dell’Amore ma soprattutto la dea della pace. Questo era il significato profondo del suo grande poema, l’Adone. Flora utilizza il suo potere per trasformare la morte in forza di rinnovamento, trasforma il dolore in bellezza. Cosa potrebbe esserci di più appropriato per un giovane principe della Chiesa? La pittura di Nicolas Poussin oggi al Louvre, molto più profonda di quella di Dresda, è l’antitesi di una danza macabra, l’antitesi di una meditazione sulla morte, di un’opera sinistra, stridente, disperata o di un intrattenimento libertino. È un’opera di gioia profonda, di pace, di speranza.Pur essendo intrisa di cultura classica, la cultura pagana che alcuni volevano sradicare, essa promuove le grandi virtù cristiane direttamente ereditate dall’ebraismo, prima fra tutte la fiducia, fiducia che permette di non fermarsi al dramma, poi la speranza che permette di affrontare le prove, nell’attesa della risurrezione, e quindi l’amore, l’Amore di Dio, l’amore di Venere che guida il corteo dei feriti della vita trasformati in fiori. La fiducia è fides, la fede, la speranza è spes, l’amore è caritas. Fides, Spes, Caritas, le tre virtù ispirate direttamente da Dio.

NOTE

[1] Benny (Emily A.), Jeunes filles en vert, une relecture du triomphe de Flore, Revue du Louvre (2019-4), [Beeny, 2019]
[2] Thuilier pense toutefois que ce point est contestable. Il formule l’hypothèse que le tableau a été en fait commandé par le cardinal Sachetti et ensuite vendu par celui-ci à Omodei. Thuillier (Pierre), Poussin, Paris, 1994, p. 248 ([Thuillier, 1994]. Pierre à la suite de Stéphane Loire, réaffirme clairement la commande par Omodei documentée par Bellori, comme par Felibien. Rosenberg (Pierre), Poussin les Tableaux du Louvre, Paris, 2015, p. 72, [Rosenberg, 2015].
[3] Voir en particulier Bruneau (Philippe), Existe-t-il des statues d’Isis Pélagia, BCH, 1974, p. 374 : « mode de formation des images divines dans l’art grec et romain ».
[4] Les attributs d’Aphrodite/Vénus sont nombreux : la pomme, le miroir, la ceinture qui la rend irrésistible, le myrte qui est son arbre, les roses, les cygnes ou les oies et plus tardivement les colombes qui tirent son char. On la reconnait aussi par le contexte, par la présence d’Eros ou des attributs d’Eros en particulier.
[5] Beeny, 2019 p. 38.
[6] Peint en 1631 pour Francesco Barberini (1597-1678), neveu d’Urbain VIII, créé cardinal dès 1623, la valeur n’attendant pas le nombre des années quand on est le neveu d’un pape.
[7] Beeny, 2019, p. 38. « pourquoi la vêtir de vert alors qu’on attendrait normalement du bleu ou du rouge ».
[8] Beeny, 2019, p. 39.
[9] Qui se retrouve aussi presque à l’identique dans Vénus et Adonis de Fortworth.
[10] Blunt (Anthony):  Poussin Studies VII: Poussins in Neapolitan and Sicilian Collections, The Burlington Magazine Vol. 100 (Mar., 1958), pp. 76-87.
[11] Comme le dit l’auteur, Beeny, 2019 p. 32.
[12] Beeny, 2019 p. 38 : « 33 ans après Bellori s’ingénie à justifier des discordances iconographiques crées par ce titre traditionnel ».
[13] Par exemple, Bellori, et tout humaniste romain classique, ne qualifiera jamais Ajax de « soldat » (Beeny, 2019 p. 32) comme l’auteur, mais lui donnera toujours le titre de héros, comme Homère, comme Ovide. Beeny, 2019 p. 39 : « et que vient faire le soldat fou Ajax… ».
[14] Pirenne Delforges (Vinciane), L’Aphrodite grecque, Liège, 1994.
[15] Elle est en particulier l’alma mater, la mère et protectrice d’Enée, la mère des romains et plus tardivement la mère des empereurs. Les César sont sa famille.
[16] Pline, Histoires Naturelles, XXXVI, 14.  
[17] Sur plus de 20 tableaux, la seule fois où elle est habillée, c’est quand elle est au chevet d’Adonis mort (musée des Beaux-Arts de Caen) dans une composition qui reprend la structure d’une piéta.
[18] Beeny, 2019 p 39, parle d’un « témoignage de tendre allégeance du dieu de la guerre à la déesse de l’amour ». C’est se tromper de culture. Dans les tableaux de Poussin, Vénus reçoit de multiples témoignages de tendresse de ses différents amants mais ceux-ci ne sont clairement pas animés par un sentiment d’allégeance et elle ce n’est certainement pas de l’allégeance qu’elle attend de ceux-ci.
[19] Beeny, 2019 p. 40
[20] V, 223-228
[21] Mais c’est justement, une partie constitutive du génie de Poussin de suffisamment connaître les textes sources pour les recomposer et les renforcer, ce qui serait hors de portée d’un simple lecteur de mythographes. L’histoire d’Ajax est bien plus dramatique, bien plus triste, que toutes les autres, car elle n’est pas l’histoire d’un crétin qui veut chasser le sanglier ou d’un imbécile qui se blesse en lançant un disque, mais la tragédie du plus valeureux des guerriers grecs, celui qui, à lui seul, a arrêté les troyens d’Hector qui se ruaient sur les vaisseaux, alors qu’Achille restait dans sa tente et que tous les autres étaient submergés (« moi, je les ai bravés et les ai chassés loin de notre flotte. » Métamorphose, XIII, 8). Ajax, c’est la tragédie de l’homme d’action bafoué par le politique, et de cette tragédie, Flore fait un geste de paix.
[22] Elle le dit elle-même ! Ovide, Fastes, V, 228 : « de quorum per me volnere surgit honor? », de leurs blessure par moi surgit l’honneur (de leurs blessures, j’ai fait jaillir de la beauté).
[23] C’est pourquoi nous pensons qu’il s’agit bien d’Ajax parce ce que cette inversion du sens du bouclier est essentielle à la construction du sens du tableau.
[24] Esaïe, 2, 4 : Il sera le juge des nations, L’arbitre d’un grand nombre de peuples. De leurs glaives ils forgeront des hoyaux (des socs), Et de leurs lances des serpes: Une nation ne tirera plus l’épée contre une autre, Et l’on n’apprendra plus la guerre.
[25] Lactance, Institutions divines, II: « Nec hanc solam Romani meretricem colunt, sed Faulam quoque, quam Herculis scortum fuisse Verrius scribit. Jam quanta ista immortalitas putanda est quam etiam meretrices assequuntur? Flora, cum magnas opes ex arte meretricia quaesivisset, populum scripsit haeredem, certamque pecuniam reliquit, cujus ex annuo foenore suus natalis dies celebraretur editione ludorum, quos appelant Floralia » Et les Romains adoraient non seulement cette prostituée (Acca Larentia ou Faustina, la lupa), mais aussi Faula, dont Verrius écrit qu’elle était la prostituée d’Hercule. Quelle est la grandeur de cette immortalité à laquelle même les prostituées parviennent ? Flore, après avoir acquis une grande richesse par la pratique de la prostitution, désigna le peuple comme son héritier, et laissa une certaine somme d’argent, dont les intérêts annuels devaient servir à célébrer son anniversaire par des jeux publiques qu’ils appellent Floralia.
[26] Pierre Rosenberg souligne cet aspect du tableau : « … allusion à la résurrection et à la réincarnation, le tableau se déploie en une lente marche ». Rosenberg, 2015, p 74