Ter Brugghen à Modène, une exposition d’un grand intérêt scientifique et documentaire. (Texte original en français et version en italien).

di Philippe PREVAL

La galerie Estense de Modène présente une exposition de taille réduite – une vingtaine de tableaux – mais d’un grand intérêt pour tous les amoureux de la peinture, puisqu’elle se propose d’une part de retracer la carrière italienne de Ter Brugghen et, d’autre part, d’évoquer les tableaux naturalistes qui furent présents dans les collections ducales avant qu’elles ne soient dispersées, en particulier lors de la « grande vente de Dresde ».

L’exposition commence par le second sujet, avec la présentation d’un exemplaire du Recueil des estampes d’après les plus célèbres tableaux de la Galerie Royale de Dresde, mais celui-ci fait surtout l’objet d’une longue étude de Federico Fischetti, très intéressante et très documentée. Il reste de cette très belle collection, quelques chefs d’œuvre à la galerie Estense, comme les deux buveurs de Tournier ou la Diseuse de bonne aventure de Spada, mais l’essentiel a quitté Modène pour toujours, comme le Saint Sébastien de Régnier, aujourd’hui à Dresde ou le Saint Sébastien soignée par la pieuse Irène de Cairo, aujourd’hui au musée de Tours. Un tableau, resté dans la galerie, fait le trait d’union avec le premier sujet. Il s’agit d’un Ermite écrivant, très beau tableau quoi que mutilé, attribué à Caravage par le passé, à Serodine suivant le cartel du musée et aujourd’hui à Ter Brugghen, ce qui motive la présence de l’exposition à Modène.

Longtemps resté dans l’ombre et même dans l’oubli, sans doute aidé en cela par la citation assassine de Sandrart[1], Ter Brugghen a repris depuis sa place d’artiste de premier plan, mais ce statut est relativement récent, puisque ce fut en 1958, qu’il fit l’objet d’un travail pionnier de Bénédict Nicolson[2], auteur de la première monographie, suivie cinquante ans plus tard, de la publication d’un catalogue raisonné, par Leonard Slatkes et Wayne Franits[3]. Les différents spécialistes ont été très elliptiques sur le séjour italien du peintre et plus généralement sur tout ce qui se passe avant 1614, date du retour du peintre à Utrecht. Comme le dit Marten Jan Bok, dans son étude remarquable sur la mélancolie supposée du peintre[4] :

«des périodes entières de la vie de Ter Brugghen ne sont pas documentées. Nous savons extrêmement peu de choses sur ses activités avant son retour d’Italie à Utrecht en 1614, par exemple, et nous ne savons presque rien de son cercle d’amis, de ses mécènes ou des premiers acheteurs et propriétaires de ses œuvres. De plus, il existe très peu de sources écrites contemporaines qui fournissent des informations substantielles sur sa personnalité, son parcours intellectuel ou ses convictions religieuses. Ses opinions artistiques peuvent être évaluées à travers son seul travail ». 

Gianni Papi qui conduit ce travail de « ricostruzione del soggiorno” de Ter Brugghen en Italie s’attaque à un sujet très difficile, qu’avaient laissé de côté ses illustres prédécesseurs, et il le fait en se basant sur les œuvres seules, puisqu’il n’y a rien d’autre. Il reconstitue ainsi, en une dizaine de tableaux, le premier corpus du peintre. Qu’on le suive ou pas dans ses conclusions, cela n’a guère d’importance pour les amateurs de peinture, qui ont la joie de voir des tableaux inédits, de questionner les confrontations et de suivre les raisonnements et les méthodes d’un grand historien d’art.

Le premier tableau est le Christ aux outrages de Lille. La confrontation avec des œuvres plus tardives et sûres est assez convaincante, en particulier avec le tableau du musée de l’Assistance Publique de Paris, qui est sous clé depuis des années et qu’il est peu probable qu’un profane puisse jamais revoir.

Figure 1 Ter Brugghen, Christ aux outrages, Musée des beaux-arts de Lille
Figure 2 Ter Brugghen, Christ aux outrages, Musée des beaux-arts de Lille (détail)

C’est une grande émotion et un grand plaisir de contempler ce tableau nouvellement restauré. Il rappelle par bien des points les toiles réalisées sur le même sujet par Valentin en particulier par le jeu des regards et la profonde humanité qui se dégage du Christ.

Le tableau qui jouxte le précédent (Cat 6), une Incrédulité de Saint Thomas, souffre terriblement de la comparaison. Le Christ ressemble à un homme du monde montrant sa blessure avec l’affectation d’un échassier. Son profil est sans relief et sans personnalité, et quant au saint Thomas, il est assez rudimentaire. La comparaison avec le tableau de même sujet du Rijksmuseum, est peu convaincante.

Il en va de même des tableaux catalogués n. 4, Salomé recevant la tête de Jean-Baptiste, tableau assez lourd, assez superficiel, et n. 3, l’Adoration des Bergers qui, quoi que stylistiquement très différent, relève des mêmes défauts, avec au surplus des fautes de dessin comme le pied au premier plan ou le visage chiffonné de l’enfant Jésus.

Le Reniement de Saint Pierre (cat 1) est déjà célèbre. Il a été présenté, lors de sa vente très médiatisée il y a 15 ans à Paris, comme le « chaînon manquant de l’œuvre du premier caravagesque hollandais » et considéré comme une première version du tableau exécuté plus tard par Ter Brugghen sur le même sujet, conservé à l’Art Institute de Chicago. Comme le disait à l’époque la Revue de l’Art :  « tout indique qu’il s’agit de la première œuvre connue de l’artiste ».

Il est clair et prouvé, comme le rappelle Gianni Papi dans le catalogue, que la toile est romaine et que le tableau a été réalisé à Rome dans la période où Ter Brugghen y séjournait. Est-il de lui pour autant ? la comparaison avec le tableau de Chicago, en particulier les visages féminins n’est pas favorable au tableau exposé à Modène. S’il présente des traits communs comme le foyer, les flammes, la composition générale, il est indéniablement de moindre qualité, voire de qualité très inférieure.

Parmi les autres tableaux retenus, l’Autoportrait possédé par une galerie parisienne et le Saint ermite écrivant de Modène sont indéniablement les plus convaincants, mais l’ensemble laisse une impression très hétérogène et même hétéroclite qui donne le sentiment d’un « work in progress ».

L’exposition ouvre ensuite deux sujets de réflexion. Le premier est très intéressant. Il s’agit des rapports entre Ter Brugghen et Serodine. Sur ce point, la touche des  grands peintres, leur utilisation de la matière et de la lumière, dialoguent en effet de façon très frappante et expliquent les alternances d’attribution. Cette partie de l’exposition permet aussi de voir un autre chef d’œuvre, le Christ aux outrages de Serodine[5] (cat 21).

Figure 3 Serodine, Christ aux outrages

Le second sujet est une tentative d’explication de quelques tableaux étranges, hybrides et par certains côtés choquants par le mélange de styles qu’ils affichent, par une collaboration entre Ter Brugghen et Procaccini, lors du passage du hollandais à Milan. Cela expliquerait que dans des tableaux globalement caravagesques (cat. 11, 12, 13), le visage de certains personnages soit plus « morbido ». C’est une triple hypothèse (la participation de Ter Brugghen, celle de Procaccini, le travail commun des deux, sans qu’on sache pourquoi) qui est, elle aussi, fondée uniquement sur des ressemblances.

L’exposition se clôt sur quelques œuvres magnifiques, la vocation de Saint Mathieu du Havre, jadis identifiée par Longhi, où Ter Brugghen, rentré en Hollande, se rapproche des flamands du XVe siècle dans la figuration réaliste des gens du peuple, le Pilate se lavant les mains de Lublin, dont l’orientalisme et l’intense concentration annoncent Rembrandt, ou le Christ mort de Gênes, chef d’œuvre absolu de Honthorst.

Figure 4 Ter Brugghen, Vocation de Mathieu, Le Hâvre (détail).

Philippe PREVAL  Modena  5 Noivembre 2023

NOTE

1 Conformément à sa tendance à nourrir des pensées profondes mais mélancoliques, il suivait très bien, mais désagréablement, la nature et ses défauts désagréables dans ses oeuvres. De même, un mauvais sort le poursuivit jusque dans la tombe, pour son grand malheur. (Joachim von Sandrart, Teutsche Academie, 1675).
2 Benedict Nicolson, Hendrick Terbrugghen, London, 1958).
3 L. J. Slatkes and W. Franits, The Paintings of Hendrick ter Brugghen 1588-1629, Amsterdam and Philadelphia, 2007.
4 Marten Jan Bok, Was Hendrick ter Brugghen a Melancholic?, JHNA 1:2 (Summer 2009).
5Rancate, pinacothèque cantonale. 
Versione italiana
La Galleria Estense di Modena presenta una piccola mostra – una ventina di dipinti – ma di grande interesse in quanto si propone da un lato di ripercorrere la carriera italiana di Ter Brugghen – che non presenta dipinti o documenti certi – e dall’altro di illustrare i dipinti naturalistici che erano presenti nelle collezioni ducali prima della loro dispersione, soprattutto con la “Grande Vendita di Dresda”.
In questo senso la mostra inizia con esempi della Collezione di Stampe dai dipinti più famosi della Galleria Reale di Dresda, con un approfondito studio di Federico Fischetti molto interessante e ben documentato. Di questa finissima collezione sono ancora presenti alcuni capolavori della Galleria Estense, come i Due bevitori di Tournier o l’Indovino di Spada, mentre il San Sebastiano di Régnier ora è a Dresda, come il San Sebastiano curato da Irene del Cairo, ora si trova nel museo di Tours. Un dipinto, rimasto nella Galleria Estenseche ha per soggetto un eremita che legge, attribuito in passato a Caravaggio e a Serodine, oggi viene dato a Ter Brugghen, motivo per cui la mostra si tiene a Modena.
A lungo rimasto nell’ombra e persino nell’oblio, grazie a Sandrart (1), il posto di Ter Brugghen come artista di spicco non è più in dubbio, dal momento che è stato oggetto di un lavoro pionieristico di Bénédict Nicolson (2), autore della prima monografia nel 1958, seguita dalla pubblicazione di un catalogo ragionato nel 2007 da parte di Leonard Slatkes e Wayne Franits (3) Questi erano stati molto ellittici sul soggiorno del pittore in Italia e più in generale su tutto ciò che accadde prima del 1614, data del ritorno del pittore a Utrecht. Come afferma Marten Jan Bok nel suo notevole studio sulla presunta malinconia del pittore (4) :
“Interi periodi della vita di Ter Brugghen non sono documentati. Sappiamo molto poco delle sue attività prima del suo ritorno dall’Italia a Utrecht nel 1614, per esempio, e non sappiamo quasi nulla della sua cerchia di amici dei suoi mecenati o dei primi acquirenti e proprietari delle sue opere. Inoltre, ci sono pochissime fonti scritte contemporanee che forniscono informazioni sostanziali sulla sua personalità, sul suo background intellettuale o sulle sue credenze religiose. Le sue opinioni artistiche possono essere valutate solo attraverso il suo lavoro”.
Gianni Papi, che sta meritoriamente cercando di  ricostruire le tappe del soggiorno in Italia di Ter Brugghen, affronta un tema molto difficile, che i suoi illustri predecessori avevano lasciato da parte, e lo fa sulla base delle sole opere, poiché non c’è nient’altro. In questo modo, ricostruisce il primo corpus di una dozzina di dipinti. Che lo si segua o meno nelle sue conclusioni, poco importa agli amanti della pittura che hanno la gioia di vedere dipinti inediti e seguire i ragionamenti e i metodi di un grande storico dell’arte.
Il primo dipinto è il Cristo degli oltraggi di Lille. Il confronto con opere successive e più attendibili è abbastanza convincente, soprattutto con il dipinto del Musée de l’Assistance Publique di Parigi, che è stato chiuso a chiave per anni e che è improbabile che si possa mai più rivedere.
E’ una grande emozione e piacere contemplare questo dipinto appena restaurato. Per molti versi ricorda le tele realizzate sullo stesso soggetto da Valentin, in particolare attraverso il gioco dello sguardo e la profonda umanità che emerge da Cristo.
La tavola accanto alla precedente (Cat 6) soffre terribilmente il confronto. Cristo assomiglia a un uomo di mondo che mostra la sua ferita con l’affettazione di un uccello trampoliere. Il suo profilo è piatto e privo di personalità, mentre San Tommaso è piuttosto rudimentale. Il confronto con il dipinto dello stesso soggetto conservato al Rijksmuseum non è convincente.
Lo stesso vale per i dipinti catalogati n. 4, Salomè riceve la testa di Giovanni Battista, un dipinto piuttosto pesante, un po’ superficiale, e n. 3, l’Adorazione dei pastori che, seppur stilisticamente molto diversa, presenta gli stessi difetti, con l’aggiunta di errori di disegno come il piede in primo piano e il volto accartocciato di Gesù bambino.
La Negazione di Pietro (cat 1) è già famosa. È stato presentato alla sua vendita molto pubblicizzata 15 anni fa a Parigi, come “l’anello mancante nell’opera del primo Caravaggio olandese” e considerato una prima versione del successivo dipinto di Ter Brugghen sullo stesso soggetto, tenutosi all’Art Institute di Chicago. Come diceva all’epoca la Revue de l’Art. “Tutto indica che questa è la prima opera conosciuta dell’artista“. E’ chiaro e provato che la tela è romana e che il dipinto è stato realizzato a Roma durante il periodo in cui Ter Brugghen vi soggiornava. È lui, per tutto questo? il confronto con il dipinto di Chicago, soprattutto i volti femminili, non è favorevole al dipinto esposto a Modena. Se ha caratteristiche comuni come il focolare, le fiamme, la composizione generale, è innegabilmente di qualità inferiore, anche molto inferiore.
Tra gli altri dipinti selezionati, l’Autoritratto di proprietà di una galleria parigina e il dipinto di Modena sono innegabilmente i più convincenti, ma l’insieme lascia un’impressione molto eterogenea e persino eterogenea che dà l’impressione di un “work in progress”.
La mostra apre poi a due spunti di riflessione. IL primo è molto interessante, riguarda il rapporto tra Ter Brugghen e Serodine. In particolare, il tocco dei due pittori, il loro uso della materia e della luce, mostra che interagiscono in modo molto suggestivo il che spiega le alternanze di attribuzione. Questa parte della mostra ci permette anche di vedere un altro capolavoro, il Cristo oltraggiato di Serodine (5) (cat 21).
Il secondo tema riguarda il tentativo di spiegare alcuni dipinti strani, ibridi e per certi versi mai visti come collaborazione tra Ter Brugghen e Procaccini durante la visita del primo a Milano. Questo spiegherebbe perché nei dipinti generalmente caravaggeschi (cat. 11, 12, 13), i volti di certe figure sono più “morbosi”. Si tratta di una ipotesi che però si basa anch’essa solo sulle somiglianze.
La mostra si chiude con alcune magnifiche opere, la Vocazione di San Matteo di Le Havre, un tempo identificata dal Longhi, dove Ter Brugghen è vicino ai fiamminghi del XV secolo nella rappresentazione realistica della gente comune, il Pilato che si lava le mani di Lublino, il cui orientalismo e la cui intensa concentrazione prefigurano Rembrandt, o il Cristo morto di Genova, capolavoro assoluto di Honthorst.