Vénus, Amphitrite ou Galatée ; une énigme « historique » résolue dans un chef-d’œuvre de Nicolas Poussin (texte original en français avec résumé en italien).

di Philippe PREVAL

Le Philadelphia Art Museum (PhAM, anciennement Philadelphia Museum of Art) a le privilège de posséder l’un des chefs-d’œuvre de Nicolas Poussin. Ce tableau, qui fut acquis par Catherine II de Russie de Louis-Antoine de Crozat en 1771 comme un “Triomphe de Galathée” puis vendu par l’URSS en 1930 avant d’entrer au PhAM en 1932, fut longtemps titré Triomphe de Neptune et est devenu une Naissance de Vénus il y a environ 60 ans.

1. Nicolas Poussin, le Triomphe de … mais de qui en fait?, Philadelphia Art Museum.

Galatée, Amphitrite, Vénus

L’entrée dans les collections russes mentionne un Triomphe de Galatée, la tradition suppose Amphitrite, épouse de Neptune et sœur de la précédente d’après Hésiode, l’interprétation moderne propose Vénus. La bibliographie sur ce sujet est éloquente[1].

Charles Sterling soutenait en 1960 que le tableau représentait le couple de dieux marins « à l’occasion des noces »[2]. La « ré-identification » du sujet, initialement avancée par Frank Sommer comme une naissance de Vénus a été soutenue par de grands historiens d’art et combattue par d’autres, donnant lieu à une guerre picrocholine d’articles et de positions qui s’est provisoirement calmée mais qui n’est pas éteinte. Anthony Blunt a même tenté une « motion de compromis » en disant : « On serait tenté de penser un ‘Triomphe de Neptune et de Venus marine»[3].

Si le cartel du musée indique qu’il s’agit d’une « Birth of Venus », le descriptif reste prudent: « The subject of this grand mythological painting remains a topic of lively debate: some see the birth of Venus, some see her triumphal parade, and others see the sea god Neptune’s marine procession. There is even disagreement as to whether Venus is depicted at all. The woman in the center might instead be Galatea, a sea nymph who is often shown riding in a cockleshell chariot drawn by dolphins. As reflected here, Poussin exercised great skill in introducing multiple meanings and rich ambiguity into his paintings of classical themes.”

L’interprétation du sujet est rendue difficile par le fait qu’Ovide, le principal guide des peintres concernant la mythologie, est assez discret sur les deux ou trois voies possibles. Il ne consacre qu’un vers à Amphitrite dans les Métamorphoses, et n’est guère plus éloquent sur la naissance de Vénus. Le principal texte concernant Aphrodite anadyomène est celui d’Hésiode et il ne correspond pas vraiment au tableau de Philadelphie. Quant à l’union d’Amphitrite et Neptune, elle est à peine évoquée dans les Fastes et expédiée en une ligne par Apollodore,[4] alors que celle de Pluton et de Proserpine est décrite avec force détails par ce dernier comme par les Fastes.

Comme nous le verrons, Galatée, Amphitrite et Aphrodite ont une longue histoire de chassé-croisé. L’objet de cet article est, néanmoins, d’essayer d’y voir plus clair dans cette problématique et de tenter d’apporter une réponse l’identification des personnages et de la scène représentée.

Ce qui reste certainement incertain

Avant d’aborder dans les différents arguments, il est important de rappeler ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas, en commençant par ce qu’on ne sait pas. On a longtemps cru que le tableau avait appartenu au cardinal de Richelieu et qu’il avait même fait partie des « bacchanales » commandées à Poussin. Cette croyance qui était ferme en 1960 lors de l’exposition parisienne fondatrice (Sterling, Blunt), a été remise en cause à la fin des années 1980 à la suite de travaux portant sur les archives Richelieu.

Ainsi en 1982, lors de la grande exposition organisée par Pierre Rosenberg, France and the Golden Age, à New York puis Paris, comme dans tout ce qui l’avait précédée, en particulier les monographies de référence de Blunt et de Friedlaender, le tableau était présenté comme provenant de la collection du cardinal de Richelieu, avait été exposé dans le « salon de Neptune » et décrit par Bellori. Mais dans le catalogue de l’exposition rétrospective Poussin de 1994, Pierre Rosenberg indiquait : “On a toujours répété, à la suite de Bellori, que ce tableau avait été peint pour le cardinal de Richelieu. En fait, rien ne permet de l’affirmer. Les inventaires récemment publiés ne le citent pas…”[5].

Certes, Bellori a décrit un tableau appartenant au cardinal, il y a eu un tableau dans le « salon de Neptune », mais rien ne prouve que ce soit le tableau de Philadelphie. Voilà qui efface tous les arguments et développements qui se fondent sur ce témoignage ainsi que tous ceux qui évoquent le rôle du cardinal dans le développement de la marine française et la symbolique qui en découle, sa défense de la religion catholique ou le supposé programme des fameuses bacchanales, etc… Cette pratique du rasoir d’Ockham permet d’éclaircir singulièrement la bibliographie, tout en regrettant que les textes écrits avant cette clarification salutaire restent irrémédiablement entachés de cette croyance infondée.

Ce qui est certain

Ce qui est certain se résume à peu de chose mais à l’essentiel : le tableau lui-même. Le tableau, qui se situe en bord de mer, se divise en trois registres qui peuvent se lire de bas en haut : une « nymphe assise sur un rocher sur la terre ferme, une scène nautique, puis une scène céleste.

Au premier registre se trouve une figure féminine nue, vue de dos. A ses pieds, est placé un récipient, dont les proportions sont celles d’une amphore[6], dont l’eau s’écoule en abondance. Il s’agit le plus souvent du symbole d’une source ou d’une rivière.

Le deuxième registre est occupé par deux groupes de dieux marins. Le personnage central du premier groupe est Neptune voguant sur son char, tiré par un quadrige de chevaux marins. Le dieu de la mer est identifiable de façon certaine par la présence de son attribut caractéristique, le trident. Le second groupe est constitué de trois personnages féminins nus installés sur un char, composé d’une coquille, tiré par des dauphins. Aucun attribut ne permet d’identifier ces trois femmes. La figure féminine centrale est protégée par un voile rose gonflé par le vent, ce qui ne constitue pas un attribut univoque, nous le verrons.  Des membres du cortège des « dieux de la mer » accompagnent le second groupe : deux tritons soufflant dans leur conque, un couple composé d’une naïade et d’un triton, amoureusement enlacés, un putto, des dauphins.

Dans le troisième registre, le tableau nous montre le char de Vénus clairement identifiable aux six colombes qui le tirent et deux groupes de trois putti dont certains déversent des rivières de fleurs sur les personnages du registre inférieur, parmi lesquelles se trouvent des roses – qui sont un attribut secondaire de Vénus – et ce qui ressemble fortement à des branches de myrte en fleur, – qui est son arbre. Le char de Vénus est occupé par deux autres putti, l’un guide le char, l’autre, à peine visible, tient un flambeau. Ce registre est donc marqué par la présence de Vénus.

2. le char de Vénus

Les deux registres inférieurs sont en relation par l’écoulement de la cruche vers la mer et par le putto central qui dans un mouvement opposé, semble vouloir accoster.

3. l’amphore se déverse dans la mer.

Les deux registres supérieurs sont en relation l’un avec l’autre par le mouvement descendant des fleurs et des deux flèches qui vont être tirées par les putti vers les personnages du registre inférieur, l’une vers le couple enlacé, l’autre vers Neptune dans une grande diagonale. Le parcours de cette flèche passe par le flambeau tenu par un autre putto qui est fréquemment un symbole nuptial ou qui évoque une union charnelle. On peut aussi noter que Neptune ne regarde pas droit devant lui, c’est-à-dire vers le spectateur, mais qu’il tourne la tête à angle droit sur sa gauche pour regarder le personnage féminin central.

4. Le parcours diagonal de la flèche

Emprunts

Richard Wollheim a théorisé le concept de « borrowing » dans les conférences Mellon de 1987[7]. Il a montré que ce concept est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît: « Quand la manière d’emprunter fonctionne, alors un emprunt entre dans le contenu d’un tableau. Une peinture acquiert une signification ou un contenu historique. Et par emprunt, j’entends le fait qu’un certain motif ou une certaine image a été emprunté à l’art antérieur. Je ne parle pas de l’image empruntée elle-même, qui, après tout, appartient au tableau qui l’emprunte aussi bien qu’à l’œuvre à laquelle elle est empruntée. Je veux dire quelque chose à propos de l’image empruntée : plus précisément, d’où elle vient. Et ce fait n’appartient que parfois à la peinture qui emprunte le motif ou l’image, c’est-à-dire quand la manière d’emprunter fonctionne – et il n’appartient jamais à l’œuvre à laquelle le motif ou l’image est emprunté »[8]. Poussin a nourri une réflexion profonde dès son arrivée à Rome sur cette façon de faire de la peinture avec de la peinture ou des œuvres d’art en général, d’intégrer des éléments transformant la signification de son œuvre tout en gardant la maîtrise de celle-ci. Le tableau de Philadelphie ne fait pas exception à la règle. Le peintre a emprunté trois éléments au corpus artistique pour créer sa propre composition, et ces trois éléments ont un rapport avec Raphaël.

Le groupe féminin vient clairement de la Galatée peinte par Raphaël à la Farnesina. La fresque lui a également fourni le motif du putto allongé sur un dauphin, le couple enlacé, l’inspiration des putti placés dans les airs.

5. Raphaël, Le triomphe de Galatée, Villa Chigi, Rome

Le personnage féminin du premier plan s’inspire du Lit de Polyclète[9], célèbre bas-relief traditionnellement interprété comme une représentation de Psyché et Amour qu’ont utilisé de nombreux artistes[10].

Le troisième emprunt est celui de la « naïade » au voile gonflé. Il s’agit d’un motif courant dans la peinture romaine qui peut représenter Vénus, Amphitrite, sa sœur Galatée, une des 48 autres Néréides, une Naïade… Les peintures romaines ont été découvertes pour l’essentiel après le tableau dont nous parlons, mais ce motif a été connu de façon certaine à la fin de XVe siècle par un détail de la décoration d’un sarcophage, disparu depuis, mais dont il reste une gravure[11]. il a été popularisé par une gravure d’Agostino Veneziano d’après Raphaël ou Jules Romain, et est alternativement nommé Nymphe ou Vénus allongée sur un dauphin. Il a été utilisé ensuite par de nombreux peintres dont Hannibal Carrache dans la galerie Farnèse pour figurer Galatée qui est entourée de deux nymphes, ce qui est très exactement la composition choisie par Poussin, ou par son frère Augustin pour la gravure des Lascivie. Il est possible aussi que le motif ait figuré parmi les fresques de la Domus Aurea comme le dit Sommer, mais cette hypothèse n’est pas utile.

8. Agostino Veneziano, Vénus allongée sur un dauphin, Met, New York.

Ces emprunts sont certains, et il est clair qu’ils enrichissent le tableau de signification. Pour autant, nous offrent-ils un sens obvie? Rien ne permet de le prouver, tout au contraire. Le titre du tableau lors de la vente Crozat à Catherine II vient sans doute de la référence à la fresque de Raphaël dont l’influence est prépondérante dans l’œuvre. Mais c’est une interprétation un peu rapide et qui ne cadre pas avec le reste de la composition. Un artiste peut emprunter des éléments picturaux sans en conserver le sens unitaire. Poussin a utilisé une Niobide pour en faire une mère éplorée dans le Massacre des innocents de Chantilly et une amazone morte pour peindre le cadavre d’une pestiférée dans la Peste d’Ashdod du Louvre. On ne peut donc rien inférer de la proximité de la figure de Poussin avec celle de la Galatée de Raphaël, ni avec la « Vénus » de Veneziano, ni avec la Psyché du Lit de Polyclète. De même que le peintre peut emprunter des éléments picturaux en en détournant ou négligeant le sens, de même il peut emprunter des éléments littéraires sans plus se préoccuper du sens, mais seulement de la trame narrative.

Ce qui est patent en revanche, c’est que tous les emprunts sont liés à Raphaël ou à son école. Dans ce tableau comme dans le Parnasse du Prado, Poussin se place, comme l’avait fait Hannibal Carrache, en admirateur, continuateur et successeur de Raphaël et il va chercher l’essentiel de ses sources picturales dans un cycle peint dont le programme est, pour une bonne part, la célébration de l’histoire d’amour, semée d’embuches comme celle de Psyché et Eros, de Francesca Ordeaschi et Agostino Chigi,  conclue par des noces grandioses célébrées dans la villa elle-même par le pape Léon X, le 28 août 1519. Nous serions tenté de penser qu’il y a là un élément significatif, s’agissant de l’interprétation du tableau de Philadelphie.

Les interprétations

Vénus

Le champion de cette théorie, à laquelle s’est rallié Charles Dempsey[12], est Frédéric Sommer par son article fondateur de 1961[13]. Il indique dès les premières lignes: « It is the argument of this paper that the subject of the painting is, in fact, the birth of the terrestrial Venus (Venus physica), the creative power of nature.”

Son argumentation part de trois aspects du tableau qui ne trouvent pas d’explication dans l’interprétation traditionnelle d’un triomphe de Neptune : premièrement, la prédominance  d’une supposée Amphitrite par rapport à Poséidon; deuxièmement, l’ensemble complexe d’acteurs et d’attributs autres que les principaux (« le putto ressemblant à un Cupidon au premier plan », les Tritons, la Néréide tenant l’étole rose gonflée par le vent au-dessus de la tête d’« Amphitrite », les amours dans le char en haut à gauche, les amours dispersant des fleurs et des feuilles, et la femme nue assise près du vase au premier plan) ; enfin, le cadre physique de l’action – un rivage montagneux et des nuages d’orage par une journée ensoleillée.

En ce qui concerne la prédominance d’Amphitrite, l’auteur compare le couple de Poussin avec sa représentation dans les Imagines deorum de Cartari. Chez Cartari, les deux dieux sont dans le même char, ou la même barque, enlacés.  Sommer remarque que, dans le tableau de Poussin, chacun a son propre char. Au surplus, l’Olympien semble «clairement subordonné en importance picturale » à sa compagne. Pour l’auteur, l’explication de ce fait ainsi que celle des chars séparés se trouve dans les indices fournis par les autres acteurs et le cadre physique.

Il identifie le char céleste tiré par les colombes à celui de Vénus.  Il avance que certaines des fleurs sont des roses rouges et blanches et que d’autres ayant une « forme blanche ouverte avec de grandes feuilles, semblent être le myrte (Myrtus communis) ». « Ces deux fleurs et le char tiré par des colombes sont des attributs normaux et distinctifs de Vénus ». Bien qu’il reconnaisse que Sterling ait identifié la symbolique du char, et suggéré qu’il signifiait les noces d’Amphitrite, il avance que le char et les fleurs sont destinés à identifier  « la figure centrale comme étant Vénus elle-même », ce qui permet de comprendre pourquoi « les deux ne sont pas représentés comme des amants et pourquoi, en tant que frère et sœur, ils conduisent des véhicules distincts ». Il utilise ensuite l’analyse des sources visuelles pour confirmer son interprétation et évoque diverses représentations d’Aphrodite anadyomène combinées avec la Galatée de Raphaël, ainsi que des représentations romaines de Vénus voguant sur les flots et des fresques de la galerie Farnèse où Galatée est abritée du soleil par un voile gonflé. Il mentionne, sans le prouver cependant, la présence de ce motif dans la Domus aurea.

En ce qui concerne les sources littéraires possibles, il propose un nouveau texte provenant des Métamorphoses d’Apulée (fin du chapitre IV ; XXXI). Plus précisément la description du voyage de Vénus sur l’Océan :

Sic effata et osculis hiantibus filium diu ac pressule saviata proximas oras reflui litoris petit, plantisque roseis vibrantium fluctuum summo rore calcato ecce iam profundi maris sudo resedit vertice, et ipsum quod incipit velle, en statim, quasi pridem praeceperit, non moratur marinum obsequium: adsunt Nerei filiae chorum canentes et Portunus caerulis barbis hispidus et gravis piscoso sinu Salacia et auriga parvulus delphinis Palaemon; iam passim maria persultantes Tritonum catervae hic concha sonaci leniter bucinat, ille serico tegmine flagrantiae solis obsistit inimici, alius sub oculis dominae speculum progerit, curru biiuges alii subnatant. Talis ad Oceanum pergentem Venerem comitatur exercitus.[14]

 

 

 

 

(4) Vénus dit, et de ses lèvres demi-closes presse ardemment celles de son fils;  puis, gagnant le rivage, s’avance vers les flots qui viennent au-devant d’elle. De ses pieds de rose, elle effleure le dos des vagues, et s’assied sur son char qui roule au-dessus de l’abîme. (5) À peine en forme-t-elle le souhait, et déjà l’humide cour l’environne, comme si elle l’eût d’avance convoquée pour lui rendre hommage. (6) Ce sont les filles de Nérée chantant en chœur, c’est Portunus à la barbe verte et hérissée, c’est Salacia[15] portant sa charge de poissons qui se débattent contre son sein, et le petit dieu Palémon chevauchant son dauphin docile. Des troupes de Tritons bondissent de tous côtés sur les ondes. (7) Celui-ci, soufflant dans une conque sonore, en tire les sons les plus harmonieux; celui-là oppose un tissu de soie à l’ardeur du soleil. Un autre tient un miroir à portée des yeux de sa souveraine, tandis que d’autres encore nageaient, attelés deux par deux à son char. C’est avec ce cortège que Vénus allait rendre visite au vieil Océan[16].

L’auteur force un peu le texte. Il interprète, par exemple, « curru biiuges alii subnatant » comme “a kind of visual metaphor in the lovingly intertwined sea god and goddess on the picture’s right”. Ce qui n’est pas tout à fait fondé, currus étant le char triomphal et biiuges le double attelage (à deux chevaux, deux tritons dans le texte, deux dauphins dans le tableau).

Sommer identifie le personnage au trident avec le Portunus d’Apulée et la figure féminine à Vénus qu’un « tissu de soie » protège de « l’ardeur du soleil ». Il évoque également le célèbre prologue du De rerum natura, sans que cela soit très convaincant ou même utile. Pour finir, il identifie la nymphe du premier plan, seul personnage du tableau prenant appui sur la terre ferme avec l’embouchure du fleuve Bocarus sur l’île de Paphos, l’île où va accoster Vénus après sa naissance. Il peut ainsi conclure : « avec son attention coutumière à la règle du ‘décorum’, Poussin a suivi Apulée à la lettre et au-delà. Même le paysage a été conçu pour s’adapter au thème de Vénus. La déesse est représentée alors qu’elle arrive triomphalement après sa naissance sur le site de son futur sanctuaire. Apulée n’avait représenté qu’un ‘triomphe’. Poussin a peint la naissance d’une déesse».

La comparaison avec le texte d’Apulée est très intéressante ce dernier fournissant une trame narrative solide au cortège marin. Cependant, on peut émettre de sérieuses réserves sur l’analyse qu’en propose Sommer. D’abord il néglige tout ce qui dans le tableau se réfère à l’hyménée, ou à l’amour : les flambeaux, les fleurs, les regards, les flèches dardées, l’embrassement sensuel du couple qui semble annoncer une étreinte. La remarque sur les deux chars a du sens si on considère que le couple est déjà formé, elle n’en a pas s’il se forme devant nos yeux. Ensuite, s’il s’agit bien d’une naissance de Vénus, on se demande ce que font tous ces personnages, ce que fait son char dans les airs, pourquoi les amours dardent déjà des flèches. Il y a un évident problème de temporalité. La déesse vient d’émerger des flots et tout est déjà en place pour des noces !

Amphitrite

Le champion du retour à Amphitrite est Michael Levey[17]. Dans un article court et percutant il critique celui de Sommer Sommer, à qui il reproche d’élaborer des hypothèses sans les étayer[18]. Il reprend, en revanche, l’explication de Sterling, mentionne les divers éléments nuptiaux, en particulier le flambeau de l’hyménée et la flèche dardée vers Neptune, et apporte à l’appui divers textes[19].

L’histoire des amours de Neptune et Amphitrite est une version édulcorée de celle de Pluton et Proserpine. Dans les Fastes, Pluton viole Proserpine et trouve ensuite un arrangement avec l’aide de son frère Jupiter en faisant de sa victime son épouse. Chez Claudien, le viol se fait même avec la complicité de Jupiter. Dans l’histoire de Neptune et Amphitrite, Neptune désire Amphitrite, qui pour indiquer son consentement…  s’enfuit. Elle s’enfuit comme Io, comme Chloris, comme Daphné, comme Syrinx. Io et Chloris sont rattrapées et violées, Daphné et Syrinx n’ont d’autres solution, pour échapper au viol, que d’invoquer leurs pères pour être transformées à jamais en végétaux. Amphitrite fuit au bout du monde, est retrouvée et n’a d’autre choix que d’accepter le mariage. Le texte d’Hygin résume cette histoire pour expliquer la constellation du dauphin.

XVII. DELPHIN.

Hic qua de causa sit inter astra collocatus, Eratosthenes ita cum ceteris dicit: Neptunum, quo tempore voluerit Amphitriten ducere uxorem, et illa cupiens conservare virginitatem fugerit ad Atlanta, complures eam quaesitum dimisisse, in his et Delphina quendam nomine. Qui pervagatus insulas, aliquando ad virginem pervenit eique persuasit, ut nuberet Neptuno, et ipse nuptias eorum administravit. Pro quo facto inter sidera Delphini effigiem collocavit. Et hoc amplius. Qui Neptuno simulacra faciunt, delphinum aut in manu, aut sub pede eius constituere videmus; quod Neptuno gratissimum esse arbitrantur.

 

Le Dauphin.

Pour quelle raison celui-ci a -t-il été placé parmi les constellations, Eratosthène -avec tous les autres- l’explique ainsi : Neptune, quand il voulut épouser Amphitrite et qu’elle, désirant conserver sa virginité, s’enfuit jusqu’à l’Atlas[20], lança à sa recherche plusieurs personnes, parmi lesquelles un certain Dauphin. Lequel, après avoir erré d’île en île, parvint enfin auprès de la vierge, la persuada d’épouser Neptune et s’occupa de leurs noces. C’est pourquoi Neptune plaça l’image du Dauphin parmi les constellations. De plus, ceci. Nous voyons ceux qui font des statues de Neptune placer un dauphin ou dans sa main, ou sous son pied, jugeant que c’est là chose très agréable au dieu.

Le paysage montagneux est en accord avec le texte (ad Atlanta). Le dauphin qui est au centre du tableau peut être le « dauphin détective » pour reprendre l’expression de Levey. Le contexte est aussi compatible avec les deux chars, l’un ayant rattrapé l’autre.

Amphitrite et Aphrodite : une vieille histoire de confusion.

Aphrodite et Amphitrite sont deux très jolies filles. Arès et Hermès succombent aux charmes de la première et Poséidon n’a pas poursuivi la seconde jusqu’aux confins de l’océan par hasard. Aphrodite fille d’Ouranos, Aphrodite Ourania par nature n’est pas seulement une déesse céleste, elle est aussi marine que céleste, elle est née du contact sur la surface des eaux des testicules d’Ouranos cruellement tranchés et elle ne manque pas d’épiclèses marines. Elle est Pontia (maritime), Euploia (qui favorise les traversées), ou encore Épiliménia (qui veille sur les installations portuaires)[21] et elle est qualifiée dans des textes littéraires de Thalassaiée. Elle dispose de sanctuaires dans les ports ou dans les îles et entre souvent en concurrence avec Poséidon lui-même,[22] mais sur des plans différents[23]. Ce rapprochement entre les deux Olympiens qui n’était pas connu du temps de Poussin, est cependant structurant et participe de la confusion des représentations entre Aphrodite et les déesses marines en général. Ce qui fait que même la présence d’un dauphin ou d’un poisson ne suffit pas à identifier Amphitrite à coup sûr.

Les déplacements d’Amphitrite ou des Néréides se font sur les flots et leurs montures sont marines : hippocampes, tritons, dauphins. Ceux d’Aphrodite maritime aussi. La distinction entre Aphrodite et les Néréides est généralement contextuelle, car les attitudes sont très semblables. Si Poséidon est dans le voisinage, la figure représente Amphitrite. Si elles sont en bandes, ce sont des Néréides. Si elle transporte des armes, la figure représente Thétis portant les armes d’Achille. On peut rajouter Galatée à cette petite troupe. Hésiode, lointainement suivi par Apollodore, fait de celle-ci la sœur d’Amphitrite. Dans son étude sur un plat en argent du musée de Bakou, Anca Dan[24] tente d’identifier le personnage central en consacrant un paragraphe à chacune des possibilités : une Néréide, Aphrodite, Amphitrite. Elle semble pencher pour cette dernière éventualité, mais avance des arguments de poids comparable pour les deux autres.  Le musée archéologique de Tarente, quant à lui, possède une magnifique boîte de miroir en argent doré. La figure centrale représente, d’après son catalogue, une Néréide. Un certain nombre de traits communs à Aphrodite sont cependant présents : coquille (emblème de l’Aphrodite anadyomène), miroir. L’attitude alanguie – chiton savamment drapé en dessous des fesses -, peut être celle de l’une ou l’autre divinité.

9. Boite de miroir hellénistique, Tarente, musée archéologique.

Cette confusion entre les deux déesses est donc très ancienne et a subsisté jusqu’à l’époque moderne. A titre d’exemple, la célèbre statuette de Michel Anguier (1614-1686), qui est postérieure d’environ 15 ans à notre tableau, se nomme alternativement Amphitrite et … Vénus. Aussi ne faut-il pas s’étonner que l’interprétation du tableau de Poussin ait oscillé entre les deux déesses depuis 60 ans.

Proposition d’interprétation

Un épithalame

Le tableau est marqué par la présence d’éléments rappelant les noces. La dynamique de la flèche qui part vers Neptune en passant par le flambeau et du regard de Neptune vers la figure féminine, les divers signes de présence de Vénus, son char, ses colombes et ses fleurs, nous paraissent clairement marquer une relation de désir amoureux et de célébration nuptiale entre les deux personnages sous la protection de Vénus pronuba, la Vénus des mariages. Le cadre nuptial et la présence certaine de Neptune impliquent que le personnage féminin ne peut être qu’Amphitrite. Nous avons donc devant nous les noces d’Amphitrite et Neptune, et plus précisément la procession qui caractérisait les cérémonies de mariage princiers. L’une de celles-ci est décrite dans l’épithalame de Giambattista Marino, Venere pronuba, écrit pour la célébration de l’union de Giovan Carlo Doria et de Veronica Spinola[25]. Et cette procession est conduite par un officiant tout particulier, un dauphin qui est, comme nous allons le voir, le dauphin chanceux ayant retrouvé la déesse. Il tient lui-même les rênes du char de la vierge promise au mariage reprenant ainsi la vieille tradition romaine où la jeune-fille était conduite de la maison familiale à celle de l’époux[26] au son de chants joyeux et à la lumière des flambeaux.
Cette relation matrimoniale, nous l’avons dit, n’est pas exempte de contrainte, comme c’est souvent le cas dans les textes antiques, en particulier chez Ovide. Il nous semble que cette contrainte se manifeste dans les visages des deux compagnes d’Amphitrite. Ce ne sont pas des visages heureux et détendus, mais des visages où se perçoit la gêne ou la peur.

Ovide, pour revenir à lui, n’est pas totalement muet sur cette scène. Il l’évoque dans un quatrain des Fastes, II, 79-83:

Quem modo caelatum stellis Delphina videbas,is fugiet visus nocte sequente tuos:seu fuit occultis felix in amoribus index,Lesbida cum domino seu tulit ille lyram.

Le Dauphin, que tu voyais naguère tout serti d’étoiles,fuira tes regards au cours de la nuit suivante:soit qu’il ait été le messager chanceux d’amours secrètes,ou qu’il ait transporté la lyre de Lesbos et son maître[27].

Ce texte, qui nous paraît elliptique, ne devait pas faire difficulté du temps d’Ovide. Le lecteur identifiait immédiatement sous ces « occultis amoribus », celles de Neptune et Amphitrite. En 1650, la traduction de Michel de Marolles, contemporain de Poussin (1600-1681), respecte la discrétion du texte d’Ovide, mais rend l’allusion plus claire : « Le 3 Février. Au reste ce Dauphin merveilleux orné d’Etoiles que vous remarquiez naguères dans le Ciel, échappera la nuit d’après à votre vue: Et la gloire qu’il possède maintenant lui fut acquise, ou pour avoir été assez heureux de favoriser un Dieu en ses amours pour une Nymphe qui se cachait, ou pour avoir porté sur son dos la Lyre de Lesbos, avec celui qui en jouait admirablement.»

Au XIXe siècle, on traduisait en brodant un peu : « Est-ce celui qui sut découvrir, dans sa retraite, l’objet caché des amours de Neptune » (traduction Nisard). Dans les éditions modernes « seu fuit occultis felix in amoribus index, » doit être expliqué par une note: « amours secrètes (2,81). Selon une légende, le Dauphin aurait été métamorphosé en constellation, parce qu’il avait servi d’intermédiaire entre la Néréide Amphitrite et le dieu de la mer Poséidon. La Néréide, se refusant au dieu, s’était cachée dans l’Océan ; elle fut retrouvée par le dauphin qui la persuada d’épouser le dieu (Hygin, Astronomica, 2, 17) »[28].

Dans Il Flavio intorno ai Fasti Volgari[29]  de 1553 de Vincenzo Cartari où celui-ci reprend en prose sa propre traduction en vers des Fastes de 1551, on trouve dans le livre 1, le passage suivant dans lequel on remarque qu’il a inséré tout le développement d’Hygin dans sa « version » des Fastes.

Oltre di cio della imagine del Delfino  che si vede in Cielo si leggono queste favole. Inamorato Nettuno d’Amphitrite figliuola dell’Oceano cerco d’haverla per moglie, ma quella che desiderava stare vergine sempre per non essere piu di cio tentata se ne fuggi ad Atlante, per la pal cosa Nettuno mando moIti, chi quà, chi là a cercarla, tra i quali fu un Delfino, overo uno nominato Delfino. Il quale , come piu sagace, o meglio aventuroso de gli altri, trovo la ricercata Ampbitrite, e narrolle il grande amore di Nettuno, e tanto feppe dire che la persuase ad andar seco, e darsi in mano al suo inamorato[30], ond’ei su poscia ministro delle nozze, e per merito del servitio volle Nettuno dapoi che l’imagine del Delfino fosse tra le stelle.

 

De plus, à propos de l’image du Dauphin qu’on voit au Ciel, on lit ces fables. Neptune, amoureux d’Amphitrite, fille d’Océan, chercha à l’épouser. Mais celle-ci, désirant rester vierge à jamais pour ne plus être tentée, s’enfuit vers Atlas. C’est pourquoi Neptune envoya de nombreux émissaires, ici et là, à sa recherche, parmi lesquels se trouvait un Dauphin, ou plutôt un nommé Dauphin. Lequel, plus rusé, ou plutôt

plus aventureux que les autres, trouva Amphitrite tant convoitée et lui révéla le grand amour de Neptune. Il réussit à la convaincre de l’accompagner et de se remettre entre les mains de son amant ; ensuite il devint le ministre de leurs noces. En reconnaissance de ce service, Neptune désira depuis que l’image du Dauphin fût placée parmi les étoiles.

Les noces d’Amphitrite et Neptune évoquées par Ovide dans les Fastes se trouvaient donc explicitées non seulement dans les œuvres peu diffusées citées par Levey dont l’Astronomie d’Hygin, mais aussi dans la version des Fastes de Cartari de plus grande diffusion et dont les Images des dieux,[31] publiées en 1571, devinrent rapidement très célèbres.

Le texte d’Ovide-Cartari-Hygin fournit une bonne base d’explication de la composition de Poussin. On y voit les deux figures principales, le dauphin qui a retrouvé Amphitrite et qui mène la procession en bon « ministro delle nozze », et les contreforts de l’Atlas. Mais bien des figures du tableau ne se retrouvent pas dans le texte. Aussi l’hypothèse de Sommer, dont celui-ci pensait qu’elle excluait une interprétation nuptiale du tableau, est en fait complémentaire de cette dernière. Il faut ici revenir sur un autre concept développé par Wollheim en parallèle de l’emprunt iconique, celui de textualité :  « Lorsque la manière de la textualité fonctionne, un texte entre dans le contenu d’une peinture. La peinture acquiert une signification ou un contenu textuel. Et par texte, ce que j’entends est quelque chose de propositionnel : de plus, c’est quelque chose de propositionnel qui a, et qui est partiellement identifié par référence à, une histoire. Des exemples d’un texte tel que je le pense seraient une doctrine religieuse, un proverbe, une théorie cosmologique, un principe moral, une métaphore, une vision du monde[32].» Nous pensons que Poussin a effectivement utilisé le texte d’Apulée pour trouver une trame narrative à son tableau qui aurait été un peu sec sinon. Fusionner ainsi visuellement le cortège nuptial d’Amphitrite et celui de Vénus rendant visite à l’océan, amplifie et donne plus de profondeur à la peinture.

Cette utilisation de la trame narrative d’une histoire pour en présenter une autre, rappelle l’article visionnaire d’ Ernst Gombrich sur le Printemps de Botticelli. Gombrich[33] y propose en effet que la source de la composition soit un épisode des Métamorphoses d’Apulée (publié à Rome en 1473), où au livre X (XXX-XXXII), Lucius (transformé en âne) assiste à une représentation théâtrale figurant le jugement de Pâris (ce qui lui permettra de manger les roses offertes à la déesse et de retrouver sa forme humaine). Apulée décrit le décor comme une « montagne en bois, avec des arbres et des fleurs ». Pour autant, si le positionnement des personnages dans le tableau trouve effectivement un parallèle éclairant avec la pièce de théâtre racontée par Apulée, la signification des deux scènes est très différente.

On a tendance à subordonner inconsciemment la force de l’image à celle du texte et à croire que la découverte d’un texte structurant va donner l’explication finale de l’image qu’il structure. Mais il n’en est rien, le peintre est aussi libre vis à vis des textes qu’il l’est vis à vis des images.

Il reste qu’au premier plan cette nymphe dénudée est bien étrange. Il reste aussi que le char de Vénus est bien vide. Y voir une source, comme l’écrit Sommer et comme incite à le penser l’amphore dont l’eau coule vers la mer, est tentant. Mais quelle source ? Vouloir jouer sur la géographie de Cythère ou de Paphos paraît devoir mobiliser des connaissances géographiques un peu trop précises. On pourrait rêver de reconnaître Vénus car après tout, si Psyché ressemble à Vénus, au dire d’Apulée, alors Vénus ressemble tout autant à Psyché. Mais aucun attribut ne vient étayer cette hypothèse. Cependant on peut noter que, dans l’Iconologia[34] de Cesare Ripa, l’Eau est symbolisée par une jeune femme nue légèrement couverte d’un tissu azuré (un panno ceruleo), s’appuyant sur « une urne d’où s’épand de l’eau en abondance » (un urna, & che da detta urna esca una copia d’acqua). Notre « nymphe » assise sur son rocher est nue, le tissu dont elle pourrait se couvrir est bleu azur et à ses pieds, une urne laisse s’épandre de l’eau en abondance. On peut également remarquer que la figure choisie pour l’édition illustrée (1603) pourrait être Vénus et qu’en tout cas, celle qui symbolise la terre est de toute évidence inspirée par Cérès, celle qui représente l’air par Junon, reconnaissable à son paon, celle qui symbolise le feu est proche des représentations d’Hestia/Vesta. La figure de Ripa porte un sceptre dont l’explication est la suivante : “perche non si trova elemento alla vita humana, e al compimento del mondo più necessario dell’acqua […] che essa non solamente era principio di tutte le cose, ma Signora di tutti gl’Elementi, perchioche questa consuma la terra, spenge il fuocco, saglie sopra l’aria, & cadendo dal Cielo quà giù, è cagione, che tutte le cose necessarie all’huomo nascono in terra”[35]. Ce qui dans la traduction française de 1643 s’exprimait ainsi: “On ne donne pas le Sceptre à cet Elément sans une grande raison ; étant véritable qu’il n’y a rien de si nécessaire à la vie humaine que l’Eau, de laquelle le Poète Hésiode & Thales Milésien ont écrit que non seulement elle est le principe de toutes choses, mais la Reine de tous les Eléments. En effet c’est elle qui consume la Terre, qui éteint le Feu ; & qui s’épandant par l’Air d’où elle tombe, est cause que toutes les choses dont l’homme a besoin, naissent ici-bas ». Cette description lyrique de l’eau source de toute vie et supérieure à tout n’est pas sans faire échos aux vers de l’Hymne à Vénus de Lucrèce: « Mère des Romains, charme des dieux et des hommes, bienfaisante Vénus, c’est toi qui, fécondant ce monde placé sous les astres errants du ciel, peuples la mer chargée de navires, et la terre revêtue de moissons; c’est par toi que tous les êtres sont conçus, et ouvrent leurs yeux naissants à la lumière »[36]. Nous pensons donc que Poussin a bien représenté ici le symbole de l’eau qui fait sens dans le contexte et qui renforce l’évocation de Vénus pronuba.

La pistola fumante

Le château de Fontainebleau conserve deux grands cuivres de Francesco Albani (1578-1660)[37], Cybèle et les Saisons, ou Allégorie de la Terre, et Apollon et Mercure, ou Allégorie de l’Air, provenant de la collection de Louis XIV. Ces deux œuvres d’une qualité exceptionnelle furent peintes par l’Albane pour Jacques Le Veneur, comte de Carrouges, un amateur français qui entretenait des liens d’amitié avec l’artiste puisqu’il fut le parrain de son second fils, à Bologne, en 1625. Ce dernier possédait un troisième tableau de l’Albane, acquis également en 1634, et que son inventaire après décès nomme « Neptune et Amphitrite », ou Allégorie du monde marin. Les deux premiers, Cybèle et les Saisons et Apollon et Mercure, entrèrent par la suite dans la collection d’André Le Nôtre qui les offrit au roi avec une partie de sa collection en 1693. Il y a une quinzaine d’années, le château de Fontainebleau a pu faire l’acquisition du troisième cuivre qui présente avec celui de Philadelphie une proximité qui se passe de commentaire.

10. Francesco Albani, dit l’Albane, Neptune et Amphitrite, ou Allégorie du monde marin, Château de Fontainebleau.

Comme dans le tableau de Poussin, on observe deux chars séparés, celui de Neptune tiré par deux chevaux marins dont l’un chevauché par un triton, et escorté par deux tritons soufflant dans leur trompe pour calmer les eaux, celui de la gracieuse Amphitrite escortée par deux amours, tiré par deux naïades et deux dauphins dont l’un chevauché par Cupidon lui-même, la flèche à la main qui joue son rôle de « ministre des noces». Les mêmes rochers figurent l’Atlas, la fin du monde connu. On retrouve même le détail du couple qui s’apprête à faire l’amour et celui du châle de la déesse, gonflé par le vent. Chaque peintre a son style et sa mise en page, l’un installe dans les airs le char de Vénus, l’autre Jupiter lui-même, l’un met au premier plan un personnage féminin qu’il n’est pas évident d’expliquer, l’autre place dans la barque de Neptune une mère et son fils, qui ne sont pas non plus très faciles à comprendre. Neptune aura beaucoup d’enfants adultérins – dont Thésée -, mais avait-il commencé à engendrer dès avant le mariage, et au tout début du monde où les événements ont lieu ? Toujours est-il que ces deux tableaux strictement contemporains (1634) racontent la même histoire et que celui de l’Albane ne laisse aucun doute sur son interprétation, il s’agit bien des noces d’Amphitrite et Neptune telles que les content le pseudo-Hygin ou Vicenzo Cartari.

Conclusion

Maintenant que les personnages ont retrouvé leur identité et leur rôle, maintenant que les signes sont reconnus, il faut tenter d’en comprendre la signification. Il est clair que nous sommes en présence d’un tableau de mariage. S’il s’agissait d’une œuvre du XVIe siècle, on l’identifierait immédiatement comme telle, un genre d’épithalame en peinture, – comme les fresques de la galerie Farnèse ou celles de la villa Chigi -, l’équivalent pictural de certains grands poèmes de Giambattista Marino, et on se mettrait en quête, à la découverte d’armes parlantes dans différents détails figurés, voire d’actes notariés.

Poussin a exalté dans son tableau les noces d’Amphitrite et Neptune. Il a fait différents emprunts à l’Antiquité par l’intermédiaire de Raphaël ou de ses élèves. Il a utilisé un texte d’Hygin ou peut-être de Cartari inspiré par Ovide. Il l’a enrichi d’un autre texte d’Apulée.  Il ne s’est pas borné à une seule source. Poussin n’est pas un Grec ou un Romain. Il est un homme du XVIIe siècle, de culture profondément judéo-chrétienne. Et un trait fondamental de cette culture, c’est l’amphibologie. Comme dit le Psalmiste : « Dieu a parlé une fois; Deux fois j’ai entendu ceci: C’est que la force est à Dieu »[38]. Il a parlé une fois, j’ai entendu deux paroles, deux sens. Le sens unique est une voie sans issue, il cache un sens interdit. Les deux sens conservent une dynamique éternelle qui permet une lecture sans cesse renouvelée du texte biblique comme de l’œuvre d’art. Lorsque Marcel Proust apprit que son roman devait paraître en anglais sous le titre Remembrance of Things Past, il écrivit au traducteur pour regretter la disparition de « l’amphibologie voulue de Temps perdu qui se retrouve à la fin de l’ouvrage, Le Temps retrouvé ». Poussin en utilisant à la fois l’histoire de Neptune et Amphitrite et celle du voyage de Vénus, en maintenant l’ambiguïté entre les deux déesses dont les images ont toujours été interchangeables comme on l’a vu, joue à fond de cette amphibologie.

Il ne joue pas seulement sur l’ambiguïté des personnages, mais aussi sur celle du sujet lui-même. En abordant les noces d’Amphitrite et Neptune, il choisit un sujet complexe, fait de tension et de violence implicite mais comme pour le Triomphe de Flore, débouchant sur la concorde et l’élan vital. Cette ambiguïté constitutive de la vie et son dépassement dans la vie elle-même, c’est bien ce qui est à l’œuvre dans les Noces d’Amphitrite et Neptune. Un nouveau champ d’études s’ouvre – la recherche du commanditaire de ce tableau et les raisons pour lesquelles Poussin y a déployé des trésors de complexité, dont l’évidence éclate si on compare son œuvre à celle contemporaine et de même sujet de l’Albane.

Mais cette complexité d’analyse et cette infinie et subtile profondeur d’interprétation n’est-elle pas ce qui rend Poussin inégalable.

[1] Bibliographie non exhaustive:
Blunt (Anthony) et Sterling(Charles), in Exposition Nicolas Poussin, Paris, 1960, pp. 82-83 et 232.
Sommer (Frank H.), Poussin’s ‘Triumph of Neptune and Amphitrite’: A Re-Identification, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 24 (1961).
Levey (Michael), Poussin’s ‘Neptune and Amphitrite’ at Philadelphia: A Re-Identification Rejected, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 26 (1963).
Dempsey (Charles), Poussin’s Marine Venus at Philadelphia: A Re-Identification Accepted, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 28 (1965).
Dempsey (Charles), The Textual Sources of Poussin’s Marine Venus in Philadelphia, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 29 (1966).
Friedlaender (Walter), Nicolas Poussin: A New Approach, New York, 1966, pp. 134-135.
Blunt (Anthony), Nicolas Poussin, New York, 1967, p. 148.
Sommer (Frank H.), Quaestiones disputatae: Poussin’s Venus at Philadelphia, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 31 (1968).
Simon (Robert. B.), Poussin, Marino, and the Interpretation of Mythology, Art Bulletin 60 (Mar. 1978).
Rosenberg (Pierre), France and the Golden Age, New York, 1982, pp. 308-309.
Rosenberg (Pierre), Nicolas Poussin, 1594-1665, Paris, 1994, pp. 224-226;
Flemming (Victoria von), Le Neptune et Venus de Poussin. L’intertextualité comme chance de la démarche interprétative in: Poussin et Rome (Actes du colloque de l’Académie de France à Rome, 16-18 novembre 1994), Paris, 1996, pp. 309-27.
Weir (Susan A.), Poussin’s Marine painting in Philadelphia reconsidered, Notes in the History of Art, Vol. 17, No. 2 (hiver 1998).
Berger (Robert W.), Poussin’s Source(s) for his Marine Painting in Philadelphia: A Triumph of Venus after Apuleius, Zeitschrift für Kunstgeschichte, 2007, 70. Bd., H. 3 (2007).
Thomas (Troy), Poussin’s Philadelphia marine painting: new evidence for the Neptune and Amphitrite theory, Aurora, The Journal of the History of Art(Vol. 10), 2009.
[2] Blunt et Sterling, 1960, p. 232.
[3] ibidem, p. 82.
[4] I, 28 : Poséidon épouse Amphitrite, [fille d’Océan], et il a pour enfants Triton et Rhodé, qu’épousa Hélios.
[5] Rosenberg, 1994, p 54. Nous remercions Pierre Rosenberg qui nous a permis de consulter la fiche consacrée au tableau dans son catalogue raisonné (à paraitre en 2026), laquelle confirme que ce point n’a pas évolué.
[6] Voir par exemple Hambidge (Jay), Dynamic Symmetry: The Greek Vase, Yale, 1920.
[7] Wollheim (Richard) Painting as an Art (A. W. Mellon Lectures in the Fine Arts), New York, 1987.
[8] Wollheim, 1987, p. 185.
[9] Bober (Phyllis) et Rubinstein (Ruth), Renaissance Artists and Antique Sculpture, Londres, 1991. pp.139-140, fig. 94, a, b, c.
[10] Raphaël lui-même pour l’Hébé du Banquet des dieux de la Farnesina et pour l’une des Grâces de la loggia, Perin del Vaga pour la Venus de la voûte de La chute des Géants de la Villa del Principe à Gênes, Titien pour la Vénus et Adonis du Prado, etc…
[11] Bober et Rubinstein, 1991, p. 74, fig. 45.
[12] Dempsey, 65 et 66.
[13] Sommer (Frank H.), Poussin’s ‘Triumph of Neptune and Amphitrite’: A Re-Identification, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 24 (1961).
[14] Apulée Métamorphoses IV, XXXI, 4-7.
[15] On note au passage que la romaine Salacia est une déesse de la mer. Elle est l’épouse de Neptune. Elle correspond donc à l’Amphitrite grecque .
[16] Traduction Berthoud, Paris, 1846.
[17] Levey, 1963.
[18] Levey, 1963, p. 359: Finally, his linking of the event depicted by Poussin with passages from Apuleius and Lucretius is not only unconvincing, but quite unnecessary.
[19] Ibidem : “Oppian’s Halieutica (I, 383-92), Pseudo-Eratosthenes’ Catasterismi (31) and Hyginus’ Poeticon Astronomicon”.
[20] Donc au bout du monde connu.
[21] Pirenne-Delforge (Vinciane), Aphrodite grecque, Liège, 1994, pp. 433-434.
[22] Ibidem, pp. 435-436.
[23] Ibidem, p. 436: Autant l’action de Poséidon sur les flots est violente, autant l’intervention d’Aphrodite semble avoir pour but essentiel l’apaisement des éléments. […] Alors que l’intervention de Poséidon dans le déchaînement de la mer semble étroitement solidaire des impulsions séismiques qu’il donne à la terre en général, l’intervention d’Aphrodite apparaît davantage comme une conséquence de sa nature céleste.
[24] Dan (Anca), Galateia in the Land of the Amazons, Khazar Journal of Humanities and Social Sciences 2018, pp. 20-79.
[25] Giambattista Marino, Poesie varie, Bari,1913, pp. 317-335.
[26] Voir par exemple Catulle, poèmes 61 et 62 (épithalames). En particulier: 61, 76-78 : claustra pandite ianuae/ virgo adest. viden ut faces / splendidas quatiunt comas? Ouvrez les portes du sanctuaire, la vierge s’avance. Vois ces flambeaux agiter leur brillante chevelure ! Ne tarde plus, jeune épouse. 61, 181-183 : mitte brachiolum teres, / praetextate, puellulae: / iam cubile adeat viri. Jeune guide de l’épousée, quitte son bras arrondi, qu’elle s’approche, sans toi, du lit de son époux.
[27] Traduction de Robert Schilling où “le messager efficace” a été remplacé par « le messager chanceux » pour rendre felix.
[28] Edition des Belles Lettres de Robert Schilling, 1993 .
[29] Vincenzo Cartari, Il Flavio intorno ai Fasti Volgari, Venise (Vinegia), 1553, p. 110.
[30] “darsi in mano al suo inamorato”: cela ressemble plus à une reddition qu’à un acquiescement.
[31] Vincenzo Cartari, Le imagini de i dei de gli antichi, Venise (Vinegia), 1571.
[32] Wollheim, 1987, p. 184.
[33] E. H. Gombrich, Botticelli’s Mythologies: A Study in the Neoplatonic Symbolism of His Circle. Journal of the Warburg and Courtauld Institutes Vol. 8 (1945), pp. 7-60.
[34] Ripa (Cesare), Iconologia, Rome, 1593. 1603 pour la première édition illustrée.
[35] Ripa (Cesare), Iconologia, Rome, 1603, p. 121.
[36] Lucrece, De Rerum natura, I, 1-5 :
Aeneadum genetrix, hominum divomque voluptas,
alma Venus, caeli subter labentia signa
quae mare navigerum, quae terras frugiferentis
concelebras, per te quoniam genus omne animantum
concipitur visitque exortum lumina solis.
[37] Ce tableau avait été présenté par Troy Thomas dans son article (Thomas, 2009, p. 62.). Nous remercions Pierre Rosenberg et Christel Dupuy de nous avoir communiquer une copie de celui-ci.
[38] Psaume 62:12.

Versione Italiana

Il Philadelphia Art Museum (PhAM, precedentemente Philadelphia Museum of Art) è orgoglioso di possedere uno dei capolavori di Nicolas Poussin. Questo dipinto, acquistato da Caterina II di Russia da Louis-Antoine de Crozat nel 1771 con il titolo “Trionfo di Galatea” e poi venduto dall’URSS nel 1930 prima di entrare al PhAM nel 1932, fu a lungo intitolato “Trionfo di Nettuno” e divenne “Nascita di Venere” circa 60 anni fa.
Galatea, Anfitrite, Venere
La voce nelle collezioni russe menziona un Trionfo di Galatea; secondo  tradizione si presume che si trattasse invece di Anfitrite, moglie di Nettuno e sorella di Galatea secondo Esiodo, mentre l’interpretazione moderna propone Venere. La bibliografia sull’argomento è eloquente.
Nel 1960, Charles Sterling sostenne che il dipinto raffigurasse la coppia di divinità marine “in occasione delle nozze”. La “reidentificazione” del soggetto, inizialmente proposta da Frank Sommer come Nascita di Venere, è stata sostenuta da importanti storici dell’arte e osteggiata da altri, dando origine a una guerra di articoli e posizioni che si è temporaneamente placata, ma non chiusa. Anthony Blunt tentò persino una “mozione di compromesso”, affermando: “Si potrebbe essere tentati di considerarlo un ‘Trionfo di Nettuno e Venere Marina‘”. Sebbene l’etichetta del museo indichi che si tratta di una “Nascita di Venere“, la descrizione rimane cauta: “Il soggetto di questo grandioso dipinto mitologico rimane oggetto di acceso dibattito: alcuni vi vedono la nascita di Venere, altri la sua parata trionfale, altri ancora la processione marina del dio del mare Nettuno. C’è persino disaccordo sul fatto che Venere sia raffigurata o meno”. La donna al centro potrebbe invece essere Galatea, una ninfa marina spesso raffigurata su un carro di conchiglie trainato da delfini. Come si evince da tutto questo, Poussin esercitò una grande abilità nell’introdurre molteplici significati e una ricca ambiguità nei suoi dipinti di temi classici. L’interpretazione del soggetto è complicata dal fatto che Ovidio, la principale guida del pittore sulla mitologia, è piuttosto discreto riguardo ai due o tre possibili percorsi. Dedica un solo verso ad Anfitrite nelle “Metamorfosi”, e non è molto più eloquente sulla nascita di Venere. Il testo principale riguardante Afrodite Anadiomene è quello di Esiodo, e non corrisponde realmente al dipinto di Filadelfia. Quanto all’unione di Anfitrite e Nettuno, è appena menzionata nei Fasti e descritta in un solo verso da Apollodoro, mentre quella di Plutone e Proserpina è descritta in grande dettaglio da quest’ultimo e dai Fasti.
Come vedremo, Galatea, Anfitrite e Afrodite hanno una lunga storia di interazioni. Dunque, scopo di questo articolo è cercare di far luce su questo problema e di fornire una risposta identificando i personaggi e la scena raffigurata.
Ciò che certamente rimane incerto
Prima di affrontare le varie argomentazioni, è importante ricordare ciò che sappiamo e ciò che non sappiamo, a partire da ciò che non sappiamo. Si è creduto a lungo che il dipinto fosse appartenuto al cardinale Richelieu e che avesse addirittura fatto parte dei “baccanali” commissionati a Poussin. Questa convinzione, saldamente radicata nel 1960 durante la mostra parigina fondativa (Sterling, Blunt), fu messa in discussione alla fine degli anni Ottanta a seguito dei lavori sugli archivi Richelieu. Così, nel 1982, durante la grande mostra organizzata da Pierre Rosenberg, “La Francia e l’Età dell’Oro”, a New York e poi a Parigi, come in quelle che l’avevano preceduta, in particolare nelle monografie di riferimento di Blunt e Friedlaender, il dipinto fu presentato come proveniente dalla collezione del cardinale Richelieu, esposto nel “Salone di Nettuno” e descritto da Bellori. Ma nel catalogo della mostra retrospettiva su Poussin del 1994, Pierre Rosenberg affermava: “Si è sempre ripetuto, seguendo Bellori, che questo dipinto fu dipinto per il cardinale Richelieu. In realtà, non c’è nulla a sostegno di questa affermazione. Gli inventari pubblicati di recente non lo menzionano…” Certamente, Bellori descrisse un dipinto appartenuto al cardinale, c’era un dipinto nel “salone di Nettuno”, ma non c’è alcuna prova che si trattasse del dipinto di Filadelfia. Questo cancella tutte le argomentazioni e gli sviluppi basati su questa testimonianza, così come tutti quelli che evocano il ruolo del cardinale nello sviluppo delle scene marine francesi e il simbolismo che ne derivò, la sua difesa della religione cattolica, o il presunto programma dei famosi baccanali, ecc. Questa pratica del “rasoio di Occam” consente un chiarimento significativo della bibliografia, anche se i testi scritti prima di questo salutare chiarimento rimangono irrimediabilmente viziati da questa convinzione infondata.
Ciò che è certo
Ciò che è certo si riduce a poche cose, ma l’essenziale è il dipinto stesso. Il dipinto, ambientato in riva al mare, è diviso in tre registri che possono essere letti dal basso verso l’alto: una ninfa seduta su una roccia sulla terraferma, una scena marina e poi una scena celeste. Nel primo registro è raffigurata una figura femminile nuda, vista di spalle. Ai suoi piedi c’è un contenitore, dalle proporzioni di un’anfora, da cui sgorga acqua in abbondanza, simbolo di una sorgente o di un fiume. Il secondo registro è occupato da due gruppi di divinità marine. La figura centrale del primo gruppo è Nettuno che naviga sul suo carro, trainato da una quadriga di cavalli marini. Il dio del mare è chiaramente identificabile dalla presenza del suo attributo caratteristico, il tridente. Il secondo gruppo è costituito da tre figure femminili nude sedute su un carro, fatto di conchiglia, trainato da delfini. Nessun attributo ci permette di identificare queste tre donne. La figura femminile centrale è protetta da un velo rosa che ondeggia al vento, attributo non esclusivo, come vedremo. I membri della processione degli “dei marini” accompagnano il secondo gruppo: due tritoni che soffiano nelle loro conchiglie, una coppia composta da una naiade e un tritone amorevolmente intrecciati, un putto e dei delfini. Nel terzo registro, il dipinto ci mostra il carro di Venere, chiaramente identificabile dalle sei colombe che lo trainano, e due gruppi di tre putti, alcuni dei quali versano fiori sulle figure del registro inferiore, tra cui rose – attributo secondario di Venere – e ciò che assomiglia molto a rami di mirto fioriti – i suoi alberi. Il carro di Venere è occupato da altri due putti, uno che guida il carro, l’altro, appena visibile, che regge una torcia. Questo registro è quindi segnato dalla presenza di Venere.
I due registri inferiori sono messi in relazione dal fluire della brocca verso il mare e dal putto centrale che, con movimento opposto, sembra volervi approdare.
I due registri superiori sono collegati tra loro dal movimento discendente dei fiori e dalle due frecce che saranno scoccate dai putti verso le figure del registro inferiore, una verso la coppia abbracciata, l’altra verso Nettuno in un’ampia diagonale. Il percorso di questa freccia passa attraverso la torcia tenuta da un altro putto, che è spesso un simbolo nuziale o che evoca un’unione carnale. Possiamo anche notare che Nettuno non guarda dritto davanti a sé, cioè verso lo spettatore, ma che gira la testa ad angolo retto verso sinistra per guardare la figura femminile centrale.
Prestito
Richard Wollheim ha teorizzato il concetto di “prestito” nelle Mellon Lectures del 1987. Ha dimostrato che questo concetto è molto più complesso di quanto sembri: “Quando il prestito funziona, allora il prestito diventa parte del contenuto di un dipinto. Un dipinto acquisisce un significato o un contenuto storico. E per prestito intendo il fatto che un certo motivo o immagine sia stato preso in prestito dall’arte precedente. Non mi riferisco all’immagine presa in prestito in sé, che, dopotutto, appartiene sia al dipinto che la prende in prestito sia all’opera da cui è preso in prestito. Mi riferisco a qualcosa sull’immagine presa in prestito: più precisamente, da dove proviene. E questo fatto appartiene solo a volte al dipinto che prende in prestito il motivo o l’immagine, cioè quando il modo di prendere in prestito funziona – e non appartiene mai all’opera da cui il motivo o l’immagine sono presi in prestito. Fin dal suo arrivo a Roma, Poussin aveva riflettuto profondamente su questo modo di realizzare dipinti o opere d’arte in generale, integrando elementi che trasformano il significato della sua opera mantenendone il controllo. Il dipinto di Filadelfia non fa eccezione. Il pittore prese in prestito tre elementi dal corpus artistico per creare la sua composizione, e questi tre elementi hanno un legame con Raffaello. Il gruppo femminile proviene chiaramente dalla Galatea di Raffaello alla Farnesina. L’affresco gli fornì anche il motivo del putto sdraiato su un delfino, la coppia abbracciata e l’ispirazione per i putti posti in aria.
La figura femminile in primo piano è ispirata al Letto di Policleto, un celebre bassorilievo tradizionalmente interpretato come una rappresentazione di Psiche e Amore, utilizzato da molti artisti.
Il terzo prestito è quello della “naiade” con il velo svolazzante. Si tratta di un motivo comune nella pittura romana che può rappresentare Venere, Anfitrite, sua sorella Galatea, una delle altre 48 Nereidi, una Naiade… La pittura romana fu scoperta principalmente dopo il dipinto in questione, ma questo motivo era noto con certezza alla fine del XV secolo da un dettaglio della decorazione di un sarcofago, oggi scomparso, di cui rimane un’incisione. Fu reso popolare da un’incisione di Agostino Veneziano, da Raffaello o Giulio Romano, ed è alternativamente chiamato Ninfa o Venere sdraiata su un delfino. Fu successivamente utilizzato da molti pittori, tra cui Annibale Carracci nella Galleria Farnese per raffigurare Galatea circondata da due ninfe, che è esattamente la composizione scelta da Poussin, o da suo fratello Agostino per l’incisione della Lascivia. È anche possibile che il motivo comparisse tra gli affreschi della Domus Aurea, come sostiene Sommer, ma questa ipotesi non è valida.
Questi prestiti sono certi, ed è chiaro che arricchiscono il dipinto di significato. Tuttavia, ci offrono un significato evidente? Nulla può dimostrarlo, anzi. Il titolo del dipinto venduto a Caterina II deriva senza dubbio dal riferimento all’affresco di Raffaello, la cui influenza è preponderante nell’opera. Ma questa è un’interpretazione che non si adatta al resto della composizione. Un artista può prendere in prestito elementi pittorici senza preservarne il significato unitario. Poussin utilizzò una Niobide per realizzare una madre piangente nella Strage degli Innocenti a Chantilly e un’Amazzone morta per dipingere il cadavere di un appestato nella Peste di Ashdod al Louvre. Non possiamo quindi dedurre nulla dalla vicinanza della figura di Poussin a quella della Galatea di Raffaello, né alla “Venere” di Veneziano, né alla Psiche nel Letto di Policleto. Così come un pittore può prendere in prestito elementi pittorici distorcendone o trascurandone il significato, può anche prendere in prestito elementi letterari senza preoccuparsi del significato, ma solo della struttura narrativa. Ciò che è chiaro, tuttavia, è che tutti questi prestiti sono legati a Raffaello o alla sua scuola. In questo dipinto, come nel Parnaso del Prado, Poussin si pone, come aveva fatto Annibale Carracci, come ammiratore, continuatore e successore di Raffaello e ricerca l’essenziale delle sue fonti pittoriche in un ciclo pittorico il cui programma è, in gran parte, la celebrazione della storia d’amore, disseminata di insidie ​​come quella di Psiche ed Eros, di Francesca Ordeaschi e Agostino Chigi, conclusa da un grandioso matrimonio celebrato nella villa stessa da Papa Leone X, il 28 agosto 1519. Saremmo tentati di pensare che ci sia un elemento significativo qui, riguardante l’interpretazione del dipinto di Filadelfia.
Interpretazioni di Venere
 Il sostenitore di questa teoria, sostenuta da Charles Dempsey, fu Frédéric Sommer nel suo fondamentale articolo del 1961. Nelle righe iniziali affermava: “La tesi di questo articolo è che il soggetto della pittura sia, in effetti, la nascita della Venere terrestre (Venus physica), il potere creativo della natura“. La sua argomentazione si basa su tre aspetti del dipinto che non possono essere spiegati dall’interpretazione tradizionale di un trionfo di Nettuno: in primo luogo, la predominanza di una presunta Anfitrite su Poseidone; in secondo luogo, il complesso insieme di attori e attributi diversi da quelli principali (“il putto simile a Cupido in primo piano”, i Tritoni, la Nereide che regge la stola rosa che ondeggia al vento sopra la testa di “Anfitrite”, gli Amorini sul carro in alto a sinistra, gli Amorini che spargono fiori e foglie e la donna nuda seduta vicino al vaso in primo piano). Infine, l’ambientazione fisica dell’azione: una costa montuosa e nuvole temporalesche in una giornata di sole. Riguardo alla predominanza di Anfitrite, l’autore confronta la coppia di Poussin con la loro rappresentazione nell’Imagines deorum di Cartari. In Cartari, i due dei sono sullo stesso carro, o sulla stessa barca, abbracciati. Sommer osserva che, nel dipinto di Poussin, ognuno ha il proprio carro. Inoltre, l’Olimpo sembra “chiaramente subordinato in importanza pittorica” ​​al suo compagno. Per l’autore, la spiegazione di questo fatto, così come dei carri separati, risiede negli indizi forniti dagli altri attori e nell’ambientazione fisica. Identifica il carro celeste trainato dalle colombe con quello di Venere. Suggerisce che alcuni dei fiori siano rose rosse e bianche e che altri, di “forma bianca aperta con grandi foglie, sembrino mirto (Myrtus communis)“. “Questi due fiori e il carro trainato da colombe sono attributi normali e distintivi di Venere”. Pur riconoscendo che Sterling abbia identificato il simbolismo del carro e suggerito che simboleggiasse le nozze di Anfitrite, sostiene che il carro e i fiori intendono identificare “la figura centrale come Venere stessa”, il che aiuta a spiegare perché “i due non sono rappresentati come amanti e perché, come fratello e sorella, guidano veicoli separati”. Utilizza quindi l’analisi delle fonti visive per confermare la sua interpretazione e discute varie rappresentazioni di Afrodite Anadiomene combinate con la Galatea di Raffaello, nonché rappresentazioni romane di Venere che naviga sulle onde e affreschi nella Galleria Farnese dove Galatea è protetta dal sole da un velo gonfio. Menziona, ma non dimostra, la presenza di questo motivo nella Domus Aurea.
Quanto alle possibili fonti letterarie, propone un nuovo testo tratto dalle “Metamorfosi” di Apuleio (fine del capitolo IV; XXXI). Più precisamente, la descrizione del viaggio di Venere sull’Oceano:


Sic effata et osculis hiantibus filium diu ac pressule saviata proximas oras reflui litoris petit, plantisque roseis vibrium fluctuum summo rore calcato ecce iam profundi maris sudo resedit vertice, et ipsum quod incipit velle, en statim, quasi pridem praeceperit, non moratur marinum obsequium: adsunt Nerei filiae chorum canentes et Portunus caerulis barbis hispidus et gravis piscoso sinu Salacia et auriga parvulus delphinis Palaemon; iam passim maria persultantes Tritonum catervae hic concha sonaci leniter bucinat, ille serico tegmine flagrantiae solis obsistit inimici, alius sub oculis dominae speculum progerit, curru biiuges alii subnatant. Talis ad Oceanum pergentem Venerem comitatur exercitus.
resedit vertice, et ipsum quod incipit velle, en statim, quasi pridem praeceperit, non moratur marinum obsequium: adsunt Nerei filiae chorum canentes et Portunus caerulis barbis hispidus et gravis piscoso sinu Salacia et auriga parvulus delphinis Palaemon; iam passim maria persultantes Tritonum catervae hic concha sonaci leniter bucinat, ille serico tegmine flagrantiae solis obsistit inimici, alius sub oculis dominae speculum progerit, curru biiuges alii subnatant. Talis ad Oceanum pergentem Venerem comitatur exercitus.

Dice Venere, e con le labbra socchiuse stringe ardentemente quelle del figlio; poi, giunta alla riva, avanza verso le onde che le vengono incontro. Con i piedi rosa, tocca il dorso delle onde e siede sul suo carro, che rotola sull’abisso. (5) Appena ha espresso il desiderio, già l’umida corte la circonda, come se l’avesse chiamata in anticipo a renderle omaggio. (6) Ecco le figlie di Nereo che cantano in coro, ecco Portuno con la sua barba verde e ispida, ecco Salacia che porta il suo carico di pesci che si dimena contro il petto, e il piccolo dio Palemone che cavalca il suo docile delfino. Schiere di Tritoni balzano da ogni parte sulle onde. (7) Uno, soffiando in una conchiglia sonora, ne trae i suoni più armoniosi; un altro oppone un panno di seta al calore del sole. Un altro tiene uno specchio a portata di mano degli occhi del suo sovrano, mentre altri ancora nuotavano, attaccati a due a due al suo carro. Era con questo corteo che Venere stava per visitare l’antico Oceano.

L’autore allunga un po’ il testo. Interpreta, ad esempio, “currus biiuges alii subnatant” come “una sorta di metafora visiva nel dio e nella dea del mare amorevolmente intrecciati sulla destra del dipinto“. Questo non è del tutto vero, poiché currus è il carro trionfale e biiuges il doppio carro (due cavalli, due tritoni nel testo, due delfini nel dipinto). Sommer identifica la figura con il tridente con il Portunus di Apuleio e la figura femminile con Venere, protetta dal “sole cocente” da un “drappo di seta”. Evoca anche il famoso prologo del De rerum natura, senza che ciò sia molto convincente o addirittura utile. Infine, identifica la ninfa in primo piano, l’unico personaggio del dipinto che riposa sulla terraferma, con la foce del fiume Bocaro sull’isola di Pafos, l’isola dove Venere approderà dopo la sua nascita. Può quindi concludere: “Con la sua consueta attenzione alla regola del ‘decoro’, Poussin seguì Apuleio alla lettera e oltre. Persino il paesaggio fu progettato per adattarsi al tema di Venere. La dea è raffigurata mentre arriva trionfante dopo la sua nascita al luogo del suo futuro santuario. Apuleio aveva raffigurato solo un ‘trionfo’. Poussin dipinse la nascita di una dea.”
Il confronto con il testo di Apuleio è molto interessante, poiché quest’ultimo fornisce una solida cornice narrativa per la processione marinara. Tuttavia, si possono esprimere serie riserve sull’analisi di Sommer. In primo luogo, trascura tutto ciò che nel dipinto si riferisce al matrimonio, o all’amore: le torce, i fiori, gli sguardi, le frecce scoccate, l’abbraccio sensuale della coppia che sembra annunciare un abbraccio. L’osservazione sui due carri ha senso se consideriamo che la coppia è già formata; non ha senso se si sta formando davanti ai nostri occhi. Quindi, se si tratta davvero di una nascita di Venere, ci chiediamo cosa stiano facendo tutti questi personaggi, cosa stia facendo il suo carro in aria, perché gli amorini stiano già scagliando frecce. C’è un evidente problema di temporalità. La dea è appena emersa dalle onde e tutto è già pronto per le nozze!
Anfitrite
 Il paladino del ritorno ad Anfitrite è Michael Levey. In un articolo breve e incisivo, critica Sommer, accusandolo di sviluppare ipotesi senza supportarle. Tuttavia, ripete la spiegazione di Sterling, menziona i vari elementi nuziali, in particolare la torcia nuziale e la freccia puntata su Nettuno, e fornisce vari testi a supporto. La storia d’amore di Nettuno e Anfitrite è una versione annacquata di quella di Plutone e Proserpina. Nei Fasti, Plutone violenta Proserpina e poi, con l’aiuto del fratello Giove, raggiunge un accordo, facendo della vittima sua moglie. In Claudiano, lo stupro avviene addirittura con la complicità di Giove. Nella storia di Nettuno e Anfitrite, Nettuno desidera Anfitrite, che, per indicare il suo consenso… fugge. Fugge come Io, come Clori, come Dafne, come Siringa. Io e Clori vengono catturate e violentate, Dafne e Siringa non hanno altra soluzione, per sfuggire allo stupro, che invocare i loro padri affinché vengano trasformate per sempre in piante. Anfitrite fugge ai confini della terra, viene trovata e non ha altra scelta che accettare il matrimonio. Il testo di Igino riassume questa storia per spiegare la costellazione del delfino.

XVII. DELFINO. Hic qua de causa sit inter astra collocatus, Eratostene ita cum ceteris dice: Neptunum, quo tempore voluerit Amphitriten ducere uxorem, et illa cupiens conserve virginitatem fugerit ad Atlanta, complures eam quaesitum dimisisse, in his e Delphina quendam nomine. Qui pervagatus insulas, aliquando ad virginem pervenit eique persuasit, ut nuberet Neptuno, et ipse nuptias eorum administravit. Pro quo facto inter sidera Delphini effigiem collocavit. E hoc amplius. Qui Neptuno simulacra faciunt, delphinum aut in manu, aut sub pede eius costituire videmus; quod Neptuno gratissimum esse arbitrantur.

Il Delfino. Eratostene, insieme a tutti gli altri, spiega perché questo fosse collocato tra le costellazioni in questo modo: Nettuno, quando volle sposare Anfitrite e lei, desiderando preservare la sua verginità, fuggì su Atlante, mandò diverse persone a cercarla, tra cui un certo Delfino. Questi, dopo aver vagato di isola in isola, finalmente raggiunse la vergine, la convinse a sposare Nettuno e organizzò le loro nozze. Pertanto, Nettuno collocò l’immagine del Delfino tra le costellazioni. Inoltre, vediamo questo: coloro che realizzano statue di Nettuno gli pongono un delfino in mano o sotto il piede, giudicando che ciò sia molto gradito al dio.

Il paesaggio montuoso è coerente con il testo (ad Atlanta). Il delfino al centro del dipinto potrebbe essere il “delfino detective”, per usare l’espressione di Levey. Il contesto è anche compatibile con i due carri, uno dei quali ha raggiunto l’altro.
Anfitrite e Afrodite: un’antica storia di confusione.
Afrodite e Anfitrite sono due ragazze molto belle. Ares ed Hermes soccombono al fascino della prima, e Poseidone non ha inseguito la seconda fino ai confini dell’oceano per caso. Afrodite, figlia di Urano, Afrodite Urano per natura non è solo una dea celeste; è tanto marina quanto celeste. Nacque dal contatto dei testicoli crudelmente recisi di Urano sulla superficie dell’acqua, e non le mancano le epiclesi marine. È Pontia (marittima), Euploia (che favorisce gli attraversamenti), o Epilimenia (che sorveglia le strutture portuali) ed è descritta nei testi letterari come Thalassaiée. Ha santuari nei porti o nelle isole e spesso compete con lo stesso Poseidone, ma a livelli diversi. Questo legame tra le due dee dell’Olimpo, sconosciuto ai tempi di Poussin, è tuttavia strutturante e contribuisce alla confusione nelle rappresentazioni tra Afrodite e le dee del mare in generale. Ciò significa che anche la presenza di un delfino o di un pesce non è sufficiente per identificare con certezza Anfitrite. I movimenti di Anfitrite o delle Nereidi si svolgono sulle onde e le loro cavalcature sono marine: cavallucci marini, tritoni, delfini. Anche quelle dell’Afrodite marittima. La distinzione tra Afrodite e le Nereidi è generalmente contestuale, perché gli atteggiamenti sono molto simili. Se Poseidone è nelle vicinanze, la figura rappresenta Anfitrite. Se sono in gruppo, sono Nereidi. Se porta armi, la figura rappresenta Teti che porta le armi di Achille. Galatea può essere aggiunta a questo piccolo gruppo. Esiodo, seguito a distanza da Apollodoro, la rende sorella di Anfitrite. Nel suo studio di un piatto d’argento conservato al Museo di Baku, Anca Dan tenta di identificare la figura centrale dedicando un paragrafo a ciascuna delle possibilità: una Nereide, Afrodite, Anfitrite. Sembra propendere per quest’ultima possibilità, ma avanza argomentazioni di pari peso per le altre due. Il Museo Archeologico di Taranto, da parte sua, possiede una magnifica scatola a specchio in argento dorato. La figura centrale rappresenta, secondo il suo catalogo, una Nereide. Sono tuttavia presenti alcuni tratti comuni ad Afrodite: conchiglia (emblema dell’Afrodite Anadiomene), specchio. L’atteggiamento languido – chitone abilmente drappeggiato sotto le natiche – potrebbe essere quello dell’una o dell’altra divinità.
Questa confusione tra le due dee è quindi molto antica e persiste fino all’epoca moderna. Ad esempio, la celebre statuetta di Michel Anguier (1614-1686), di circa 15 anni successiva al nostro dipinto, è alternativamente intitolata Anfitrite e… Venere. Non dovrebbe quindi sorprendere che l’interpretazione del dipinto di Poussin abbia oscillato tra le due dee per 60 anni. Interpretazione suggerita Un epitalamio Il dipinto è caratterizzato dalla presenza di elementi che ricordano un matrimonio. La dinamica della freccia che scocca verso Nettuno attraverso la torcia e dello sguardo di Nettuno verso la figura femminile, i vari segni della presenza di Venere, il suo carro, le sue colombe e i suoi fiori, ci sembrano indicare chiaramente un rapporto di desiderio amoroso e di celebrazione nuziale tra le due figure sotto la protezione di Venus pronuba, la Venere dei matrimoni. L’ambientazione nuziale e la presenza certa di Nettuno implicano che il personaggio femminile non possa essere che Anfitrite. Abbiamo quindi davanti a noi le nozze di Anfitrite e Nettuno, e più precisamente il corteo che caratterizzava le cerimonie nuziali principesche. Una di queste è descritta nell’epitalamio di Giambattista Marino, Venere pronuba, scritto per la celebrazione dell’unione di Giovan Carlo Doria e Veronica Spinola. E questo corteo è guidato da un officiante molto speciale, un delfino che è, come vedremo, il fortunato delfino che trovò la dea. Egli stesso tiene le redini del carro della vergine promessa in sposa, riprendendo così l’antica tradizione romana in cui il giovane figlia fu condotta dalla casa di famiglia a quella del marito al suono di canti gioiosi e alla luce delle fiaccole. Questo rapporto coniugale, come abbiamo detto, non è esente da costrizioni, come spesso accade nei testi antichi, in particolare in Ovidio. Ci sembra che questa costrizione si manifesti nei volti dei due compagni di Anfitrite. Non sono volti felici e rilassati, ma volti in cui si percepisce imbarazzo o paura.
Ovidio, per tornare a sé stesso, non tace del tutto su questa scena. La evoca in una quartina dei Fasti, II, 79-83:

Quem modo caelatum stellis Delphina videbas, is fugiet visus nocte sequente tuos: seu fuit occultis felix in amoribus index, Lesbida cum domino seu tulit ille lyram.

Il Delfino, che un giorno hai visto tutto stellato, sfuggirà al tuo sguardo nella notte seguente: sia che fosse il fortunato messaggero di amori segreti, sia che trasportasse la lira di Lesbo e il suo padrone

Il testo di Ovidio, ma rende l’allusione più chiara: “3 febbraio. Inoltre, questo meraviglioso Delfino adorno di Stelle che un tempo hai notato nel Cielo, ti sfuggirà la notte seguente: e la gloria che ora possiede gli fu guadagnata, o per aver avuto la fortuna di favorire un Dio nel suo amore per una Ninfa che si nascondeva, o per aver portato sulla schiena la Lira di Lesbo, con colui che la suonava mirabilmente”. Nel XIX secolo, fu tradotto con un leggero abbellimento: “È colui che seppe scoprire, nel suo rifugio, l’oggetto nascosto degli amori di Nettuno” (traduzione di Nisard). Nelle edizioni moderne, “seu fuit occultis felix in amoribus index”, deve essere spiegato con una nota: “amori segreti” (2.81). Secondo la leggenda, il Delfino fu trasformato in una costellazione perché aveva fatto da intermediario tra la Nereide Anfitrite e il dio del mare Poseidone. La Nereide, rifiutando il dio, si nascose nell’Oceano; fu trovata dal Delfino, che la convinse a sposare il dio (Igino, Astronomica, 2, 17). Ne Il Flavio intorno ai Fasti Volgari di Vincenzo Cartari del 1553, dove riproduce in prosa la sua traduzione in versi dei Fasti del 1551, troviamo nel Libro I il seguente passaggio in cui notiamo che ha inserito tutto lo sviluppo di Igino nella sua “versione” dei Fasti.
Inoltre, riguardo all’immagine del Delfino vista in Cielo, leggiamo queste favole. Nettuno, innamorato di Anfitrite, figlia di Oceano, cercò di sposarla. Ma lei, desiderando rimanere vergine per sempre per non essere più tentata, fuggì da Atlante. Pertanto, Nettuno inviò numerosi emissari qua e là per cercarla, tra i quali c’era un Delfino, o meglio uno di nome Delfino. Questi, più astuto, o meglio più avventuroso degli altri, trovò la tanto desiderata Anfitrite e le rivelò il grande amore di Nettuno. Riuscì a convincerla ad accompagnarlo e a mettersi nelle mani del suo amante; poi divenne il ministro delle loro nozze. In segno di riconoscenza per questo servizio, Nettuno desiderò da allora che l’immagine del Delfino fosse posta tra le stelle.
Le nozze di Anfitrite e Nettuno, evocate da Ovidio nei Fasti, trovarono quindi spiegazione non solo nelle opere poco note citate da Levey, tra cui l’Astronomia di Igino, ma anche nella versione più diffusa dei Fasti di Cartari, le cui Immagini degli Dei, pubblicate nel 1571, divennero rapidamente molto famose. Il testo Ovidio-Cartari-Igino fornisce una buona base per spiegare la composizione di Poussin. Mostra le due figure principali: il delfino che ha trovato Anfitrite e guida il corteo da buon “ministro delle nozze”, e le pendici dell’Atlante. Ma molte delle figure del dipinto non si trovano nel testo. L’ipotesi di Sommer, che a suo avviso escludeva un’interpretazione nuziale del dipinto, è in realtà complementare a quest’ultima. Qui, dobbiamo tornare a Un altro concetto sviluppato da Wollheim parallelamente al prestito iconico è quello di testualità: “Quando opera il modo della testualità, un testo entra nel contenuto di un dipinto. Il dipinto acquisisce un significato o un contenuto testuale. E per testo, intendo qualcosa di proposizionale: inoltre, è qualcosa di proposizionale che ha, ed è parzialmente identificato dal riferimento a, una storia. Esempi di un testo del genere, come lo concepisco io, sarebbero una dottrina religiosa, un proverbio, una teoria cosmologica, un principio morale, una metafora, una visione del mondo”. Crediamo che Poussin abbia effettivamente utilizzato il testo di Apuleio per trovare una cornice narrativa per il suo dipinto, che altrimenti sarebbe risultato un po’ arido. Fondere visivamente il corteo nuziale di Anfitrite e quello di Venere che visita l’oceano amplifica e conferisce maggiore profondità al dipinto. Questo uso della cornice narrativa di una storia per presentarne un’altra ricorda il visionario articolo di Ernst Gombrich sulla Primavera di Botticelli. Gombrich suggerisce che la fonte della composizione sia un episodio delle Metamorfosi di Apuleio (pubblicate a Roma nel 1473), dove nel Libro X (XXX-XXXII), Lucio (trasformato in asino) assiste a una rappresentazione teatrale che raffigura il giudizio di Paride (che gli permetterà di mangiare le rose offerte alla dea e di riacquistare la sua forma umana). Apuleio descrive l’ambientazione come una “montagna di legno, con alberi e fiori”. Tuttavia, mentre la disposizione delle figure nel dipinto trova effettivamente un illuminante parallelo con la tragedia narrata da Apuleio, il significato delle due scene è molto diverso. Tendiamo inconsciamente a subordinare il potere dell’immagine a quello del testo e a credere che la scoperta di un testo strutturante fornirà la spiegazione definitiva dell’immagine che esso struttura. Ma non è così; il pittore è libero nei confronti dei testi quanto lo è nei confronti delle immagini.
2.149 / 5.000
Resta il fatto che in primo piano questa ninfa nuda è molto strana. Resta anche il fatto che il carro di Venere è completamente vuoto. Vedere lì una fonte, come scrive Sommer e come ci invita a pensare l’anfora da cui l’acqua scorre verso il mare, è allettante. Ma quale fonte? Voler giocare con la geografia di Citera o di Pafo sembra richiedere conoscenze geografiche un po’ troppo precise. Si potrebbe sognare di riconoscere Venere perché, dopotutto, se Psiche assomiglia a Venere, secondo Apuleio, allora Venere assomiglia altrettanto a Psiche. Ma nessun attributo supporta questa ipotesi. Si può tuttavia notare che, nell’Iconologia di Cesare Ripa, l’Acqua è simboleggiata da una giovane donna nuda leggermente ricoperta di un panno azzurro (un panno ceruleo), appoggiata a “un’urna da cui sgorga acqua in abbondanza” (un’urna, & che da detta urna esca una copia d’acqua). La nostra “ninfa” seduta sulla sua roccia è nuda, il tessuto con cui poteva coprirsi è azzurro e ai suoi piedi un’urna lascia scorrere acqua in abbondanza. Si può anche notare che la figura scelta per l’edizione illustrata (1603) potrebbe essere Venere e che comunque colei che simboleggia la terra è ovviamente ispirata a Cerere, colei che rappresenta l’aria a Giunone, riconoscibile dal suo pavone, colei che simboleggia il fuoco è vicina alle rappresentazioni di Estia/Vesta. La figura di Ripa porta uno scettro la cui spiegazione è la seguente: “perche non si trova elemento alla vita humana, e al compimento del mondo più necessario dell’acqua […] che essa non soltanto era principio di tutte le cose, ma Signora di tutti gl’Elementi, perchioche questa consuma la terra, spenge il fuocco, saglie sopra l’aria, & cadendo dal Cielo quà giù, è cagione, che tutte le cose necessarie all’huomo nascono en terra” . Che nella traduzione francese del 1643 era espresso così: “Non si dà lo scettro a questo elemento senza una grande ragione; essendo vero che non c’è nulla di così necessario alla vita umana come l’acqua, di cui il poeta Esiodo e Talete Milesi scrissero che non solo è il principio di tutte le cose, ma la Regina di tutti gli Elementi. Infatti, è lei che consuma la Terra, che spegne il Fuoco; e che, diffondendosi nell’Aria da cui cade, è la causa per cui tutte le cose di cui l’uomo ha bisogno nascono quaggiù”. Questa descrizione lirica dell’acqua, fonte di ogni vita e superiore a tutto, riecheggia i versi dell’Inno a Venere di Lucrezio: “Madre dei Romani, incanto degli dei e degli uomini, Venere benefica, sei tu che, fecondando questo mondo posto sotto le stelle erranti del cielo, popoli il mare carico di navi e la terra rivestita di messi; è da te che tutti gli esseri sono concepiti e aprono i loro occhi nascenti alla luce”. Riteniamo quindi che Poussin abbia qui raffigurato accuratamente il simbolo dell’acqua, il che ha senso nel contesto e rafforza l’evocazione di Venere pronuba. La pistola fumante Il castello di Fontainebleau ospita due grandi lastre di rame di Francesco Albani (1578-1660), Cibele e le stagioni, o Allegoria della Terra, e Apollo e Mercurio, o Allegoria dell’Aria, provenienti dalla collezione di Luigi XIV. Queste due opere di eccezionale qualità furono dipinte da Albani per Jacques Le Veneur, conte di Carrouges, un amante dell’arte francese che mantenne un rapporto amichevole con l’artista, essendo stato il padrino del suo secondo figlio, a Bologna, nel 1625. Quest’ultimo possedeva un terzo dipinto di Albani, acquisito anch’esso nel 1634, e che il suo inventario post-mortem intitolò “Nettuno e Anfitrite”, o Allegoria del mondo marino. I primi due, Cibele e le stagioni e Apollo e Mercurio, entrarono in seguito nella collezione di André Le Nôtre, che li offrì al re con parte della sua collezione nel 1693. Circa quindici anni fa, il castello di Fontainebleau ha potuto acquisire il terzo rame, che presenta una vicinanza con quello di Filadelfia che parla da sé.
Come nel dipinto di Poussin, vediamo due carri distinti: quello di Nettuno, trainato da due cavalli marini, uno dei quali è cavalcato da un tritone, e scortato da due tritoni che soffiano con la proboscide per calmare le acque; quello dell’elegante Anfitrite, scortato da due Amorini, trainato da due naiadi e due delfini, uno dei quali è cavalcato dallo stesso Cupido, freccia in mano, che svolge il suo ruolo di “ministro delle nozze”. Le stesse rocce rappresentano i monti dell’Atlante, la fine del mondo conosciuto. Troviamo persino il dettaglio della coppia che si prepara a fare l’amore e quello dello scialle della dea, che sventola al vento.
Ogni pittore ha il suo stile e la sua impostazione: uno posiziona il carro di Venere in aria, un altro Giove stesso; uno colloca una figura femminile in primo piano di difficile spiegazione; un altro colloca una madre e un figlio nella barca di Nettuno, anche questi di difficile comprensione. Nettuno avrà molti figli adulteri – tra cui Teseo – ma aveva forse iniziato a generare figli anche prima del matrimonio, e proprio all’inizio del mondo in cui si svolgono gli eventi? Resta il fatto che questi due dipinti strettamente contemporanei (1634) raccontano la stessa storia, e quello di Albani non lascia dubbi sulla sua interpretazione: si tratta proprio delle nozze di Anfitrite e Nettuno, come raccontato dallo pseudo-Igino o da Vincenzo Cartari.
Conclusione
Ora che le figure hanno riacquistato la loro identità e il loro ruolo, ora che i segni sono riconosciuti, dobbiamo cercare di comprenderne il significato. È chiaro che ci troviamo di fronte a un dipinto nuziale. Se fosse un’opera del XVI secolo, verrebbe immediatamente identificata come tale, una sorta di epitalamio in pittura – come gli affreschi della Galleria Farnese o quelli di Villa Chigi – l’equivalente pittorico di certi grandi poemi di Giambattista Marino, e ci si metterebbe alla ricerca di armi parlanti in vari dettagli figurativi, o persino in atti notarili.
Poussin ha esaltato le nozze di Anfitrite e Nettuno nella sua pittura. Ha preso in prestito vari elementi dall’Antichità attraverso Raffaello o i suoi allievi. Ha utilizzato un testo di Igino o forse di Cartario ispirato da Ovidio. Lo ha arricchito con un altro testo di Apuleio. Non si è limitato a una sola fonte. Poussin non era greco o romano. È un uomo del XVII secolo, di cultura profondamente giudaico-cristiana. E un tratto fondamentale di questa cultura è l’anfibologia. Come dice il Salmista: «Dio ha parlato una volta, due volte ho udito questo: che la potenza è in Dio»[38]. Egli ha parlato una volta, io ho udito due parole, due significati. L’unica via è un vicolo cieco, nasconde una direzione proibita. I due significati conservano una dinamica eterna che consente una lettura costantemente rinnovata del testo biblico così come dell’opera d’arte. Quando Marcel Proust apprese che il suo romanzo sarebbe stato pubblicato in inglese con il titolo Alla ricerca del tempo perduto, scrisse al traduttore per lamentarsi della scomparsa «della deliberata anfibologia del Tempo perduto che si trova alla fine dell’opera, Il tempo ritrovato». Poussin, utilizzando sia la storia di Nettuno e Anfitrite sia quella del viaggio di Venere, mantenendo l’ambiguità tra le due dee le cui immagini sono sempre state intercambiabili come abbiamo visto, gioca pienamente su questa anfibologia.
Gioca non solo sull’ambiguità dei personaggi, ma anche su quella del soggetto stesso. Nell’affrontare le nozze di Anfitrite e Nettuno, sceglie un soggetto complesso, carico di tensione e violenza implicita, ma, come ne Il Trionfo di Flora, che conduce all’armonia e alla vitalità. Questa ambiguità costitutiva della vita e la sua trascendenza nella vita stessa è esattamente ciò che è all’opera ne Le nozze di Anfitrite e Nettuno. Si apre un nuovo campo di studio: la ricerca del committente di questo dipinto e delle ragioni per cui Poussin vi ha mostrato tali tesori di complessità, la cui evidenza diventa evidente confrontando la sua opera con quella di Albani, un’opera contemporanea sullo stesso soggetto.
Ma non è forse questa complessità di analisi e questa infinita e sottile profondità di interpretazione ciò che rende Poussin ineguagliabile?